Eschyle

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Message par Arabella Mar 20 Déc - 12:14

Eschyle (de -525 à - 456)




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L’inconvénient (ou l’avantage peut être) de la littérature, et philosophie de la Grèce antique, surtout à ses époques les plus reculées, est de manquer informations en nombre, et d’un degré suffisant de fiabilité pour pouvoir faire beaucoup d’affirmations avec une vraie certitude sur quoi que ce soit. Et donc cela suscite chez les spécialistes, les interprétations les plus diverses, les plus variées, et les plus opposées entre elles. En somme, être un érudit helléniste demande autant d’imagination que de savoir. Par moment, j’ai la sensation que chaque texte, introduction, présentation, d’un genre littéraire, d’un auteur, d’une œuvre de cette époque est dans la même mesure le reflet d’un travail de recherche que l’expression des goûts, de la personnalité, et des préférences de son auteur. Car en ce qui concerne la tragédie grecque, nous sommes dans un mythe, que les spécialistes essaient de saisir à partir de quelques éléments sauvés des ravages du temps : un bout de papyrus, un morceau de tablette, une citation, une représentation picturale sur un vase. Mais d’une certaine façon, cet état lacunaire des connaissances, est un défi, et permet à chacun de trouver dans les tragédies grecques ce qu’il a envie d’y trouver. Et elles ont été une sacrée source d’inspiration ; la tragédie en France au XVIem siècle, comme l’opéra en Italie au tout début du XVIIem on  essayé de la reconstituer. Evidemment, le résultat n’avait pas grand-chose à voir avec l’original, mais quelle importance compte tenu des œuvres auxquelles cela a donné naissance. C’est un des mythes fondateurs de notre culture, mythe toujours fécond, auquel chaque époque donne son interprétation, qui révèle plus sur l’époque de l’interprétation que sur l’original bien entendu.

Cette trop longue introduction n’avait comme but que de vous mettre en garde ; ce qui suit est forcement un choix subjectif entre toutes les informations (ou leur absence), entre les interprétations, et les lectures qui ont été faites des œuvres. Chacun d’entre vous ferrait très certainement un choix différent, mais cela c’est aussi la richesse de cette ancienne littérature.


Les dates communément admises pour la vie d’Eschyle sont la naissance vers -525 et la mort en -456. Il naquit à Eleusis, le dème des Mystères dans une famille aristocratique. Il aurait  participé aux différentes batailles essentielles livrées par sa patrie, Marathon, Salamine et même Platée. Il est mort pourtant en terre étrangère, à Géla en Sicile, invité par Hiéron, le tyran local. Le récit de sa mort illustre à quel point il est difficile de se fier aux sources antiques : sa mort aurait été provoquée par un aigle, qui lui aurait lancé sur la tête une tortue, dont il voulait briser la carapace, ayant pris la tête chauve du dramaturge pour un rocher.

Mais le plus important est bien entendu l’œuvre d’Eschyle. Et là nous sommes dans la naissance du genre, car il est le premier auteur dont il nous reste des textes, et il est sensé avoir apporté des modifications essentielles à la tragédie.

La naissance de la tragédie se perd dans les brumes du temps, on a beaucoup insisté sur l’origine religieuse du théâtre, à Athènes les représentations étaient intégrées dans les fêtes de Dionysos. Le genre aurait évolué à partir du dithyrambe, sorte de poème lyrique, interprété par un chœur. Ce dithyrambe a connue plusieurs formes, il devient progressivement une sorte de dialogue entre un soliste et le chœur. Restait à introduire des acteurs. Le premier l’aurait été par Théspis, qui aurait promené son spectacle sur un chariot. Et en -534, Pisistrate a instauré un concours dramatique pendant la fête des grands Dionysies, qui aurait été emporté pas Théspis. Mais nous ne possédons aucun texte de Théspis ni de ses successeurs immédiats, juste quelques noms incertains, jusqu’à la date de 472, à laquelle un certain Eschyle donne une pièce « Les Perses » qui est la première tragédie que nous possédions.

Il nous reste sept tragédies entières écrites par Eschyle, les sources antiques estiment son œuvre entre 70 et 90 tragédies plus quelques drames satyriques. Nous sont parvenus environ 80 titres de pièces qui lui sont attribuées. Il faut préciser, qu’à l’époque d’Eschyle, chaque auteur devait donner pour les grandes Dionysies, une tétralogie, comprenant trois tragédies (trilogie) et un drame satyrique. La plupart des trilogies  d’Eschyle étaient des trilogies liées, c'est-à-dire qu’il y avait une continuité de l’action des trois pièces, ce qui ne sera plus le cas de ses successeurs.

Il est sensé avoir ajouté un deuxième acteur au premier introduit par Théspis, le troisième étant le plus souvent attribué à Sophocle, mais parfois à Eschyle, et en tous les cas ce dernier semble l’utiliser dans certaines de ses pièces. Notons tout de même qu’un même acteur interprétait la plupart du temps plusieurs rôles dans la pièce, les masques et les costumes volumineux et très couvrants des acteurs permettaient sans aucun problème ce genre d’exercice. On attribue aussi à Eschyle un certain nombre d’éléments faisant évoluer le genre théâtral, mise en scène, costumes, décors.

C’est un auteur très apprécié, il a remporté à plusieurs fois la victoire aux Dionysies, et ses pièces semblent avoir été jouées ailleurs qu’Athènes. Il est l’un des trois auteurs que les Anciens plaçaient le plus haut, au point de nous conserver leurs œuvres.

Les tragédies d’Eschyle présentent un certain nombre de caractéristiques qui les différencient de ses successeurs immédiats (Sophocle et Euripide). Beaucoup de commentateurs ont insisté sur leur caractère archaïque. Cela se manifeste dans la forme, par la présence simultanée d’uniquement deux acteurs sur la scène, et également par la place importante accordée au chœur. Au niveau du contenu, l’archaïsme d’Eschyle, se manifesterait par la grande place accordée aux dieux dans les pièces, également par le peu d’importance donnée à la psychologie des personnages, qui sont définis d’avantage par leurs actions que par des développements et monologues décrivant leurs ressentis et dilemmes. L’action est très réduite dans la plus grande partie des pièces. C’est un théâtre hiératique, emprunt de grandeur et de dignité, sans gesticulations ni convulsions, dans lequel les dieux sont des arbitres souverains qui veillent à punir les fautes et faire respecter la justice, parfois non sans une certaine cruauté, d’autant plus que souvent les enfants sont punis pour les fautes des parents. Mais ils sont les garants d’une sorte d’équilibre, d’un ordre sans lequel le monde sombrerait dans le chaos et l’autodestruction, mené par les passions dévorantes et incontrôlées des hommes. Une notion qui revient souvent chez les commentateurs d’Eschyle est celle d’hybris, que l’on traduit généralement par « démesure », le dépassement de ses propres force et de sa nature.

Mais Eschyle est aussi homme de son époque, citoyen d’une démocratie en train de se construire, et cet idéal de mesure et de justice, n’est pas uniquement dévolu aux dieux, il est aussi un élément indispensable de la vie d’une cité. Si l’hybris est le plus grand des crimes, c’est que la démesure d’un individu a de la conséquence sur la vie de tous les citoyens, en particulier par la guerre, les destructions et les souffrances qu’elle occasionne

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Message par Arabella Mar 20 Déc - 12:20

Les Perses



Actuellement considérée comme la plus ancienne tragédie grecque que nous possédions. Elle a été représentée la première fois en -472, et cette année Eschyle a remporté le concours, donc ses productions ont été jugées supérieures à celles de ses rivaux, les trois autres pièces qu’il a écrites à cette occasion sont perdues. Le chorège (citoyen riche chargé d’assurer les frais des représentations) était le jeune Périclès (j’ai toujours un petit doute quand les événements s’accordent si bien). C’est une pièce assez exceptionnelle, car le sujet n’est pas tiré de la mythologie, mais se rapporte à des événements historiques récents, ce qui est très rare dans les tragédies grecques. Et plus exactement la pièce évoque les guerres médiques, les guerres que les Grecs livrèrent aux Perses. Un autre aspect très souvent souligné de la pièce, est de situer l’action non pas du côté grec, mais de décrire les événements vus par les vaincus, ces Perses craints et haïs. Il paraîtrait que le déroulement de la pièce chez les Perses aurait entraîné l’utilisation de modes orientalisantes dans la musique, et des danses à caractère exotique ou étrange. Malheureusement, il ne nous reste évidemment rien de la musique ni de la chorégraphie, et on ne peut qu’imaginer tout cela.

Un petit rappel d’histoire pour bien suivre le déroulement de la pièce. L’avancée de l’empire perse fait qu’à un moment donné, il rentre en conflit et annexe les cités grecques d’Asie mineure. Les Grecs d’Europe, et en particulier les Athéniens participent aux hostilités pour soutenir leurs compatriotes. Après ses victoires en Asie, Darius, le grand roi Perse, lance l’offensive en Grèce même, mais son armée est défaite en -490 à Marathon, par presque les seuls Athéniens, très inférieurs en nombre. Mais les Perses continuent à être beaucoup plus puissants que les Grecs, et souhaitent établir leur domination sur le mer Egée, et bien sûr faire payer aux Athéniens leur défaite de Marathon. Le fils de Darius, Xerxès, prépare une très importante offensive, avec une armée et une logistique impressionnantes. L’armée perse avance inexorablement, et en -480 les deux armées, grecque et perse, sont à la veille de batailles décisives. La pièce d’Eschyle commence à ce moment.


Nous sommes à Suze, en plein cœur de l’empire perse, devant le tombeau de Darius, à peu de distance du palais royal. Le chœur, constitué de vieillards (Les Féaux ou Les Fidèles suivants les traductions) est inquiet en attendant des nouvelles de la guerre. Le Coryphée exprime cette inquiétude et énumère ceux qui sont partis :

Citation :
…..
Le retour du roi
et de son armée bardée d’or,
mon cœur en moi, trop prophète de malheur,
s’en tourmente déjà.
La force de l’Asie est partie, elle aboie
derrière son jeune maître, et point de messager,
aucun cavalier
qui revienne à la ville des Perses.
……

Le chœur chante aussi dit sa fierté et sa peur :

Citation :
L’armée royale, renverseuse de cités,
a déjà passé sur l’autre rive,
franchi sur des planches liées de lin
le détroit d’Hellé Athamantide,
jeté le joug de sa route chevillée
sur la nuque de la mer.

Le fougueux maître de l’Asie populeuse
pousse par deux voies sur toute la terre
son divin troupeau d’hommes.
Il se fie à ses fiers et durs lieutenants
sur terre et sur mer, lui le fils de l’or,
l’homme pareil aux dieux.

……………………………..
Tout un peuple
de marcheurs et de chevaucheurs
s’en est allé comme un essaim d’abeilles
derrière son chef,
a passé
les deux promontoires
des deux terres sur la mer.

Et l’absence d’hommes
emplit de larmes les lits.
Chaque femme perse, en sa tendre peine,
escorte
de langueur conjugale
son bouillant mari en guerre,
et reste une épouse esseulée.

Arrive la reine Atossa, femme de Darius et mère de Xerxès. Elle aussi est inquiète, elle a eu un songe effrayant et vient demander conseil aux vieillards. Le Coryphée tente de la calmer, et évoque la guerre, et parle de la Grèce à la reine.
Mais un messager apparaît et les nouvelles qu’il apporte ne sont pas bonnes. Il annonce en fait la défaite de Salamine, grande bataille navale dans laquelle la très grande majorité de la flotte perse a été anéantie.

Citation :
O villes de toute l’Asie,
ô terre de Perse, havre de tant de trésors,
comme d’un seul coup s’écroule tant de bonheur !
comme tombe et disparaît la fleur des Perses !
Oï ! malheur d’annoncer le premier les malheurs,
mais il faut déployer la détresse entière,
ô Perses : toute l’armée barbare a péri.

Suit un échange entre le messager et le chœur dans lequel ils se lamentent. La reine se manifeste, et le messager lui apprend que Xerxès est vivant, mais il détaille ensuite la mort de quelques chefs perses, et donne des détails du désastre. Le chœur se lance dans la déploration.

Citation :
L’Asie entière maintenant
sanglote, dépeuplée.
Xerxès les a menés, ohoï !
Xerxès les a perdus, ohoï !
Xerxès les a tous lancés follement
avec ses barques de mer.
Comment Darius régnait-il donc
sans dommage pour ses peuples,
lui, le prince archer,
l’aimé seigneur de Suze.

Et la reine Atossa vient faire les libations sur la tombe de Darius et évoquer son ombre, qui apparaît, s’inquiète de la raison pour laquelle on le rappelle. Le chœur lui conte les malheurs qui arrivent. Darius évoque une prophétie et condamne la folie de son fils :
Citation :
………….
L’imprudent croyait triompher de tous les dieux,
même de Poséidôn. Peut-on nier qu’un trouble mental
ait pris mon fils ? Je crains bien que tant de richesse
que j’amassai ne soit la proie du premier venu.

Darius rappelle la glorieuse histoire Perse, jusqu’à son arrivée au trône. Il annonce également la défaite de Platée dans laquelle après l’armée navale, l’armée terrestre perse sera vaincue. La reine rentre au palais se préparer au retour de son fils. Le chœur se lamente, arrive Xerxès, et se lamente avec le chœur.

Citation :
Xerxès
Oyoï ! moi qui gémis en vain,
je suis donc le fléau
de ma race et de ma patrie ?

Le chœur
J’ai pour saluer ton retour
une clameur de malheur, la voix du malheur
du pleureur mariandynien.

Xerxès
Allons, la dure plainte discordante,
criez-la. Le destin
s’est retourné contre moi.

Le chœur
Oui, je vais lancer la plainte
due à ce soudain et lourd coup sur la mer.
Je pleurerai le pays, la race,
je crierai ma plainte en pleurs.


Pièce sans beaucoup d’action, avec une très grande présence et importance du chœur, qui est vraiment le personnage essentiel du drame ; le sujet est tragique par excellence, la mort d’une énorme quantité d’hommes. Il y a un certain nombre d’erreurs historiques, et en premier lieu, le personnage de Darius, présenté comme un sage souverain pieux, qui considère que la guerre avec la Grèce est une erreur, alors que bien avant son fils, c’est lui qui a provoqué les hostilités et subi un premier désastre.

Le traitement du sujet par Eschyle fait ressortir en quelques points la façon dont les Grecs considéraient cette guerre, qui était vue comme la guerre d’hommes libres, se battant pour leur liberté et leur existence même, contre une armée supérieure en nombre, mais composée d’esclaves, se courbant devant leur roi. Un choc de civilisations en somme. Mais en même temps Eschyle montre que la souffrance, la mort, l’affliction, sont les mêmes chez touts les hommes, Grecs ou Barbares. Ce qui perd en premier lieu les Perses, c’est l’hybris de Xerxès, qui présume de ses forces, et qui se croit l’égal des dieux, et qui entraîne avec lui dans le désastre son peuple, et provoque des milliers et des milliers de morts. Et dire que c’est toujours cette fichue hybris qui va entraîner les Grecs dans la guerre fratricide du Péloponnèse, et marquer en quelque sorte la fin d’une civilisation…. Mais ceci est une autre histoire, et celle-là, Eschyle ne l'a pas connue.

Pièce grandiose, somptueuse, émouvante, d’une beauté austère, mais d’autant plus resplendissante, poème polyphonique, déploration d’une force émotionnelle rare. Première pièce de théâtre, mais en même temps ultime, parce qu’on a jamais fait mieux depuis. Autre chose, mais pas mieux. (Je vous disais bien au départ, que le théâtre grec est toujours une question de point de vue. )

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