Megan Kruse

Megan Nicole Kruse écrit de la fiction et des essais.

Elle a étudié la création littéraire à l'Oberlin College et a obtenu sa maîtrise à l'Université du Montana, où elle a reçu une bourse Bertha Morton.

Je l'ai rencontrée. Avant d'avoir lu son livre. Elle est très chaleureuse, simple, très souriante, les yeux pétillants de joie de communiquer et de partager. On sentait que ce livre était son petit bébé qu'elle chérissait. Elle avait soif des mots des lecteurs.
Quand on rencontre quelqu'un comme ça, qui vous raconte des bribes de son roman avec tant de douceur et de sourire, et un thème pourtant si dur, moi ça me donne envie.

A savoir qu'elle a travaillé comme bénévole pour l'aide aux femmes battues (elle a donc tiré de son expérience et de ses rencontres ce qu'elle raconte dans le livre).

Elle vit à Seattle.

"De beaux jours à venir" (Call Me Home, 2015) est son premier roman.

De beaux jours à venir (2015) (ed. Denoël 2016)

C'est l'histoire d'une famille. Trois personnages.
Amy, la mère, femme battue. Elle tente de fuir plusieurs fois avec ses enfants, sans y parvenir. Comme engluée dans une toile. Mais un jour, son mari la projette à travers une fenêtre, et là, cette fois, c'est fini. Elle part, avec Lydia, sa petite, son innocente. Elles laissent derrière elle Jackson, le grand, dix huit ans. C'est un déchirement, mais comme un choix inévitable.
Lydia, la petite, est bouleversée, sans repère, elle veut son frère, il lui manque comme lui manquerait un bras. Elle fait ses premiers pas dans un monde où les femmes se soutiennent. Elle a peur, aussi, qu'au fond d'elle, grandisse la même colère et violence qu'elle a vu chez son père.
Jackson, l'homosexuel chétif qui quitte une ville de bouseux pour une autre, pour fuir un carcan étouffant, les secrets d'une relation cachée.

Ce roman, c'est l'histoire d'une famille détruite, parsemée, et pourtant qui s'aiment, même à des millions de km, même dans le silence et la distance.
C'est l'histoire de gens qui se cherchent, veulent se reconstruire, se construire, et vivre libre.

Megan Kruse est parvenu, malgré la trame sombre, à rendre son livre lumineux. Ses personnages sont terriblement crédibles et attachants. Ils sont forts, et prennent leur existence en main, ils affrontent leurs démons. Même les personnages secondaires ont une véritable intensité.

Il y a des scènes merveilleuses, tellement bien tournées, qu'on pourrait croire y avoir assistées (comme une entre Lydia et sa grand-mère, sans que celle-ci sache qui est l'adolescente qu'elle a face à elle ou les scènes passionnelles et tendres entre Jackson et le chef de chantier).
Megan Kruse prend les clichés et les retournent complètement.

Et oui, on y croit, il y a vraiment de Beaux jours à venir.

Super, merci pour l'ouverture du fil Queenie! Je ne savais pas que tu l'avais vue!

Un sacrée bout de femme sûrement, pleine d'énergie et de combativité. J'en suis au tiers à peu près et je m'y sens bien dedans.

Voici la présentation d'Elizabeth Gilbert (auteur de Mange, Prie, Aime dont a parlé @Chris sur One shot) qui, lorsqu'elle était en résidence d'artiste dans le Wyoming, a rencontré l'auteure alors âgée de 21 ans. "Elle traversait l'Amérique de part en part comme une tempête de grêle"

Pour lui présenter son manuscrit, Megan lui écrit:

" Et je crois donc qu'en un sens, le roman est devenu une lettre d'amour et une lettre d'excuses. Il s'agissait pour moi de reconnaître que je fais inextricablement partie du lieu d'où je viens, et qu'il n'y a pas moyen de faire le tri entre ce qui est précieux et ce qui est hideux: Le lieu est ce qu'il est, et nous aussi. Ce qui est devenu important pour moi avec le temps, c'est de faire l'inventaire de ce qui risquait de se perdre: La façon dont mon père courait à reculons dans le jardin pour nous faire rire; les rives abruptes et les ruisseaux qui se remplissaient en hiver, où mon frère perdait toujours ses chaussures: les bijoux de ma mère étalés sur une commode "

J'aime bien aussi la façon dont elle parle de Megan Kruse, dans l'avant propos. Je trouve qu'elle a une belle perception de l'auteure et qu'elle décrit bien son univers. Peut être qu'il vous donnera aussi l'envie de le découvrir

Le fruit de son labeur, c'est ce magnifique roman, ce roman entêtant, élégiaque. Il se trouve que, dans les voyages et les errances qui ont rythmé sa vie d'adulte, Megan a vu le vaste monde, mais pour raconter cette histoire, elle est retournée à ses origines.-L'environnement brut, dur, désolé de la partie rurale de l'Etat de Washington où elle a été elevée. Elle m'a  un jour décrit sa région "comme le pays des coulées de boue", une expression révélatrice à bien des niveaux. Le paysage de ce roman semble être une coulée de boue en train de se produire. - Des individus qui coulent, des vies qui coulent, des villes entières au bord de basculer pour toujours dans la pauvreté, le désespoir et la violence. Retourner dans un tel univers et tenter de décrire son pouvoir obscur, c'est comme essayer de s'agripper à de la boue, mais elle a réussi à trouver sa prise, et sa prose s'y cramponne de toutes ses forces.

-De beaux jours à venir-

Ma mère s'est assise directement sur les cailloux et les herbes sèches. Je n'étais plus en colère contre elle, seulement contre mon père. Il était une pierre coupante que je trimbalais dans ma poche, et j'avais beau m'efforcer de ne pas la toucher, je ne pouvais pas m'empêcher de la tourner et de la retourner entre mes doigts. Peut être qu'il en serait toujours ainsi, mais je pouvais également imaginer que son tranchant s'émousserait. Je pouvais m'imaginer qu'un jour je n'aurais plus peur de devenir lui.

Je viens d'en finir la lecture. Un livre rude, qui nous raconte par chapitres interposés le parcours d'une famille disloquée suite à la violence paternelle. La voix principale, celle qui nous parle directement en employant ce je, est celle de Lydia. la petite soeur, fragile et déterminée à la fois, qui voit son monde s'écrouler lorsque son frère Jackson les trahit auprès de ce père qu'elle rejette et craint terriblement. Se croisent ainsi les autres voix, chacun apportant son éclairage, sa sensibilité, sa vision au travers de flash back situés dans le temps et l'espace.

Cela nous les rend très présents, très proches. On arrive à bien rentrer dans leur psychisme, comprendre leur quête, leur soif d'amour et ce besoin de se reconstruire. Le personnage autour duquel tout tourne est quand même Jackson. Tiraillé entre le besoin d'être reconnu par son père, celui de protéger sa soeur, et la difficulté à faire reconnaître son homosexualité. C'est pour moi le personnage le plus meurtri, le plus complexe. La violence qu'il subit n'est pas physique mais multiple et très difficile à vivre du fait de ce rejet.

Megan Kruse évite superbement le pathos. son écriture est claire, fluide, très authentique.  J'ai eu parfois un peu de mal avec ces alternances, mais ce n'est rien en rapport au reste. Comme le dit Queenie, "Megan Kruse est parvenu malgré la trame sombre, à rendre son livre lumineux". De beaux portraits d'hommes et de femmes, forts et fragiles, embourbés dans une réalité qui ne leur fait pas de cadeaux, mais qui luttent et assument. Je souhaite en tout cas à cette jeune auteure une belle réussite car elle est douée!

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