Patrick Boucheron
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Patrick Boucheron
Patrick Boucheron (1965- )
Source : Collège de France
Patrick Boucheron est né en 1965, à Paris. Après des études secondaires au lycée Marcelin-Berthelot (Saint-Maur-des-Fossés) puis au lycée Henri-IV (Paris), il entre à l’École normale supérieure de Saint-Cloud en 1985 et obtient l’agrégation d’histoire en 1988. C’est sous la direction de Pierre Toubert qu’il soutient en 1994 à l’université de Paris-I sa thèse de doctorat d’histoire médiévale, publiée quatre ans plus tard sous le titre Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politique édilitaire à Milan (XIVe-XVe siècles), Rome, École française de Rome, 1998 (Collection de l’EFR, 239).
Maître de conférences en histoire médiévale à l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud de 1994 à 1999, puis à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne à partir de 1999, il fut membre junior de l’Institut universitaire de France de 2004 à 2009. En 2009, il soutient à l’université de Paris-I une habilitation à diriger des recherches intitulée La trace et l’aura (garant : Jean-Philippe Genet) et est élu professeur d’histoire du Moyen Âge dans cette même université en 2012. Il fut, de 2015 à 2020, président du conseil scientifique de l’École française de Rome et est depuis 2018 membre du conseil scientifique de l’IEA de Paris. En 2015, il a été élu professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe-XVIe siècle, prononçant sa leçon inaugurale le 17 décembre 2015 (Ce que peut l’histoire, Collège de France/Fayard, 2016).
Ses travaux ont d’abord porté sur l’histoire urbaine de l’Italie médiévale et sur l’expression monumentale du pouvoir princier, cette histoire sociale étant envisagée dans toutes ses dimensions, des plus matérielles (économie de l’édilité, techniques de construction) aux plus abstraites (pensée politique et styles architecturaux). Ces travaux l’ont mené vers deux directions principales : d’une part, la saisie synthétique du fait urbain dans une démarche d’histoire comparée à l’échelle européenne ; d’autre part, l’analyse de la sociologie historique de la création artistique à partir de plusieurs enquêtes menées sur la peinture politique, les enluminures ou la sculpture funéraire. Cette veine de recherche débouche sur la formulation de concepts tels que ceux de fictions politiques ou d’expériences politiques autour desquels il cherche à reconfigurer, dans son enseignement au Collège de France depuis 2018 et dans les publications qu’il suscite, une histoire des pouvoirs depuis le Moyen Âge.
Car parallèlement, Patrick Boucheron engageait une réflexion sur l’écriture et l’épistémologie de l’histoire, tentant de réarticuler littérature et sciences sociales à partir de quelques chantiers collectifs (sur la notion d’espace public ou de violences intellectuelles notamment) mais aussi d’expérimentations personnelles. Dans Faire profession d’historien (Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, rééd. 2016 et 2020), il a fait le récit de la manière dont ces deux activités, qui cheminaient jusque-là parallèlement, trouvent à se réconcilier dans Léonard et Machiavel (Verdier, 2008, rééd. 2013), mais aussi dans L’histoire du monde au XVe siècle (Fayard, 2009, rééd. 2013). Car à travers le décloisonnement des regards et la désorientation des certitudes que propose une certaine manière d’écrire l’histoire du monde (notamment dans Histoire mondiale de la France, Le Seuil, 2017), c’est bien la pratique d’une histoire inquiète qui est cherchée ici, comme tente de l’expliciter L’entretemps. Conversations sur l’histoire (Verdier, 2012) mais aussi, d’une autre manière, Conjurer la peur. Sienne 1338. Essai sur la force politique des images (Seuil, 2013, rééd. 2015). Son dernier livre, La Trace et l’aura. Vies posthumes d’Ambroise de Milan (IVe-XVIe siècle) (Seuil, 2019), achevant une longue enquête qui avait été exposée lors de sa première année de cours au Collège de France, s’inscrit dans cette perspective de recherche, poursuivant en longue durée une généalogie du système des pouvoirs.
Membre du comité de rédaction de la revue L’Histoire depuis 1999, du conseil scientifique des Rendez-vous de l’Histoire de Blois et du conseil scientifique du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille) depuis 2013, Patrick Boucheron a été nommé en 2017 président du comité scientifique chargé de la refonte de la galerie permanente du Musée national d’histoire de l’immigration. Il participe régulièrement au Banquet du Livre de Lagrasse depuis 2008, ainsi qu’à différentes manifestations publiques, festivals littéraires, représentations théâtrales : théâtre national de la Colline à Paris (siégeant au conseil d’administration), Festival d’Avignon (coorganisateur des rencontres « Recherche et création » de l’ANR), Grand T de Nantes où il est commissaire du festival « Nous autres » et chercheur associé, TNB de Rennes où il est également chercheur associé et assume un rendez-vous mensuel intitulé « Rencontrer l’histoire », MC93 de Bobigny où il anime depuis 2020 une série de rencontres « Toute notre histoire »).
Ainsi tente-t-il de défendre la voix d’un discours engagé et savant au cœur des usages publics de l’histoire. De là, par exemple, des propositions radiophoniques (Un été avec Machiavel, France Inter/Les équateurs, 2017, et « Matières à penser » sur France Culture, émission dont il fut coproducteur de 2018 à 2020) ou télévisuelles (Quand l’histoire fait dates, série de trente documentaires produits par les Films d’Ici pour Arte et diffusés de 2018 à 2020). De là également son investissement dans le monde éditorial, tant dans l’édition publique (il fut notamment directeur des Publications de la Sorbonne de 2010 à 2015, préside depuis 2018 la commission « Histoire et sciences humaines » du Centre national du Livre et la commission « Archives, éditions, bibliothèques » du Collège de France où il s’occupe également du partenariat avec la Bibliothèque nationale de France) que dans l’édition privée : il est depuis 2012 directeur de la collection « L’univers historique » aux éditions du Seuil.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4799
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Re: Patrick Boucheron
La trace et l'aura
« La trace est l'apparition d'une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l'a laissée. L'aura est l'apparition d'un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l'évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l'aura, c'est elle qui se rend maîtresse de nous »
C'est dans le post-scriptum de son livre consacré à Ambroise de Milan que Patrick Boucheron nous livre cette citation Du Livre des Passages de Walter Benjamin qui a inspiré le titre de son propre ouvrage. Même s'il le fait rapidement, renvoyant à ses autres écrits, il nous laisse entendre à quel point Walter Benjamin a influencé sa réflexion sur ce qu'est, ou devrait être, le travail de l'historien., au point qu'il écrit « ...je ne vois guère quel livre d'histoire pourrait ne pas s'appeler « la trace et l'aura ».. ».
L'opus consacré par Boucheron à l'évêque de Milan est en somme une démonstration brillantissime et érudite de ce que devrait être un travail d'historien tel qu'il l'entend, une mise en oeuvre d'une méthode, d'une conception de l'histoire, voire d'une philosophie de l'histoire A partir d'un sujet, dont il dit lui-même qu'il ne l'attire pas particulièrement, mais qui lui permet de mettre en évidence son approche.
Évidemment, il ne s'agit pas d'une biographie, même si quelques éléments biographiques nous sont donnés. Sans doute déjà plus une histoire de la mémoire ambroisienne et de son évolution dans sa ville, mais là encore c'est une présentation réductrice. C'est aussi quelque peu l'histoire de la ville de Milan de la fin de l'Antiquité jusqu'au XVIe siècle, mais d'une certaine manière par inadvertance, sans que cela apparaisse comme le sujet principal du livre. Une histoire des pouvoirs en Europe du moyen-âge ? Sans doute en partie. C'est en réalité un étrange objet que ce livre, et il est très difficile de résumer son projet dans une formule commode et rassurante.
Son centre névralgique est la mémoire d'Ambroise de Milan, évêque du IVe siècle, dont le souvenir a sans doute pu survivre ailleurs que dans sa cité, grâce aux pages que lui a consacré Augustin dans ses Confessions. Rappelons que c'est Ambroise qu'a baptisé Augustin, et qu'il a été moteur d'une certaine manière de sa conversion. Mais la mémoire d'Ambroise a servi aux Milanais à construire et reconstruire leur identité, différemment à chaque époque, en s'emparant d'éléments autres à chaque fois, en les interprétant d'une autre façon, en fonction des besoins de l'époque. Patrick Boucheron tente au-delà de ces lectures successives d'Ambroise faites à différentes époques de dégager ce que Roland Barthes appelait « biographèmes » , ce qui reste en quelque sorte une fois qu'on a enlevé l'écume des lectures orientées. Il dégage dans le vie de l'évêque des moments clés, comme ce « conflit de basiliques » dans lequel Ambroise refuse de céder une des basiliques milanaises aux Ariens, appuyés par l'impératrice Justine. La lutte contre le pouvoir impérial, la prééminence du pouvoir ecclésiastique sur les questions liées à la religion, la lutte contre les hérésies, ainsi que la spécificité du rite milanais (Ambroise utilise à cette occasion les hymnes dont il est un pionnier en Occident) sont mis en évidence par cet épisode central.
Ambroise connaît dans sa ville des moments de remontée de souvenirs comme des moments d'éclipses, comme par exemple celle de la domination lombarde. Mais la période carolingienne le remet à l'honneur et le réinvente, grâce notamment à Angilbert, qui devient « un autre ou nouvel Ambroise ». D'autres « nouveaux Ambroises » surgiront jusqu'au dernier d'entre eux, Charles Borromée, acteur essentiel de la Contre-Réforme, au XVIe siècle. Chacun modifiera ou tentera de modifier le souvenir de l'évêque mythique pour l'utiliser dans les luttes du temps. Par exemple, Charles Borromée tentera de lui enlever sa barbe : en effet, des conciles légiférait à l'époque sur la barbe des clercs pour la leur interdire, et Ambroise devait en quelque sorte donner le bon exemple. Cette innovation ne sera toutefois pas acceptée, l'image du saint barbu ayant une trop longue tradition. Cet exemple très anecdotique illustre à quel point les manipulations de la mémoire peuvent être nombreuses et orientées.
Il est très difficile de donner une idée précise de ce livre très riche, qui mérite sans doute plusieurs lectures. Il est incontestablement complexe, Patrick Boucheron multiplie les sauts dans le temps, les angles d'approche, les thématiques. Peut-être d'ailleurs de manière un peu excessive, si on je peux oser un reproche. C'est éblouissant, mais un peu plus de simplicité n'enlèverait rien à la profondeur du contenu. Mais c'est incontestablement un grand plaisir que de suivre les méandres de la pensée de l'auteur, qui nous mène où il l'a décidé sans en avoir l'air, tout cela dans un style remarquable.
« La trace est l'apparition d'une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l'a laissée. L'aura est l'apparition d'un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l'évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l'aura, c'est elle qui se rend maîtresse de nous »
C'est dans le post-scriptum de son livre consacré à Ambroise de Milan que Patrick Boucheron nous livre cette citation Du Livre des Passages de Walter Benjamin qui a inspiré le titre de son propre ouvrage. Même s'il le fait rapidement, renvoyant à ses autres écrits, il nous laisse entendre à quel point Walter Benjamin a influencé sa réflexion sur ce qu'est, ou devrait être, le travail de l'historien., au point qu'il écrit « ...je ne vois guère quel livre d'histoire pourrait ne pas s'appeler « la trace et l'aura ».. ».
L'opus consacré par Boucheron à l'évêque de Milan est en somme une démonstration brillantissime et érudite de ce que devrait être un travail d'historien tel qu'il l'entend, une mise en oeuvre d'une méthode, d'une conception de l'histoire, voire d'une philosophie de l'histoire A partir d'un sujet, dont il dit lui-même qu'il ne l'attire pas particulièrement, mais qui lui permet de mettre en évidence son approche.
Évidemment, il ne s'agit pas d'une biographie, même si quelques éléments biographiques nous sont donnés. Sans doute déjà plus une histoire de la mémoire ambroisienne et de son évolution dans sa ville, mais là encore c'est une présentation réductrice. C'est aussi quelque peu l'histoire de la ville de Milan de la fin de l'Antiquité jusqu'au XVIe siècle, mais d'une certaine manière par inadvertance, sans que cela apparaisse comme le sujet principal du livre. Une histoire des pouvoirs en Europe du moyen-âge ? Sans doute en partie. C'est en réalité un étrange objet que ce livre, et il est très difficile de résumer son projet dans une formule commode et rassurante.
Son centre névralgique est la mémoire d'Ambroise de Milan, évêque du IVe siècle, dont le souvenir a sans doute pu survivre ailleurs que dans sa cité, grâce aux pages que lui a consacré Augustin dans ses Confessions. Rappelons que c'est Ambroise qu'a baptisé Augustin, et qu'il a été moteur d'une certaine manière de sa conversion. Mais la mémoire d'Ambroise a servi aux Milanais à construire et reconstruire leur identité, différemment à chaque époque, en s'emparant d'éléments autres à chaque fois, en les interprétant d'une autre façon, en fonction des besoins de l'époque. Patrick Boucheron tente au-delà de ces lectures successives d'Ambroise faites à différentes époques de dégager ce que Roland Barthes appelait « biographèmes » , ce qui reste en quelque sorte une fois qu'on a enlevé l'écume des lectures orientées. Il dégage dans le vie de l'évêque des moments clés, comme ce « conflit de basiliques » dans lequel Ambroise refuse de céder une des basiliques milanaises aux Ariens, appuyés par l'impératrice Justine. La lutte contre le pouvoir impérial, la prééminence du pouvoir ecclésiastique sur les questions liées à la religion, la lutte contre les hérésies, ainsi que la spécificité du rite milanais (Ambroise utilise à cette occasion les hymnes dont il est un pionnier en Occident) sont mis en évidence par cet épisode central.
Ambroise connaît dans sa ville des moments de remontée de souvenirs comme des moments d'éclipses, comme par exemple celle de la domination lombarde. Mais la période carolingienne le remet à l'honneur et le réinvente, grâce notamment à Angilbert, qui devient « un autre ou nouvel Ambroise ». D'autres « nouveaux Ambroises » surgiront jusqu'au dernier d'entre eux, Charles Borromée, acteur essentiel de la Contre-Réforme, au XVIe siècle. Chacun modifiera ou tentera de modifier le souvenir de l'évêque mythique pour l'utiliser dans les luttes du temps. Par exemple, Charles Borromée tentera de lui enlever sa barbe : en effet, des conciles légiférait à l'époque sur la barbe des clercs pour la leur interdire, et Ambroise devait en quelque sorte donner le bon exemple. Cette innovation ne sera toutefois pas acceptée, l'image du saint barbu ayant une trop longue tradition. Cet exemple très anecdotique illustre à quel point les manipulations de la mémoire peuvent être nombreuses et orientées.
Il est très difficile de donner une idée précise de ce livre très riche, qui mérite sans doute plusieurs lectures. Il est incontestablement complexe, Patrick Boucheron multiplie les sauts dans le temps, les angles d'approche, les thématiques. Peut-être d'ailleurs de manière un peu excessive, si on je peux oser un reproche. C'est éblouissant, mais un peu plus de simplicité n'enlèverait rien à la profondeur du contenu. Mais c'est incontestablement un grand plaisir que de suivre les méandres de la pensée de l'auteur, qui nous mène où il l'a décidé sans en avoir l'air, tout cela dans un style remarquable.
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Arabella- Messages : 4799
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