Tirso de Molina
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Tirso de Molina
Tirso de Molina (1579 - 1648)
Source : Wikipédia
Tirso de Molina (né Gabriel José López Téllez le 24 mars 1579 et mort vers le 20 février 1648) est, avec Lope de Vega et Pedro Calderón de la Barca, l'un des grands auteurs de théâtre du Siècle d'or espagnol. Il est célèbre pour avoir écrit la première pièce de théâtre sur le personnage mythique de Don Juan, avant Molière : El Burlador de Sevilla.
On situe sa naissance à Madrid, mais on ignore tout de son enfance. Il entre au couvent de la Merci à seize ans et prononce ses vœux un an plus tard, en 1601. De 1614 à 1615 il vécut dans le couvent à Estercuel. Après des études à Guadalajara et Salamanque, il réside en Galice et au Portugal, passe quelque temps à Séville, puis s'embarque pour Saint-Domingue où il restera deux ans.
Tirso de Molina fut un auteur fécond. Il écrivit 317 comédies de mœurs, d'intrigue, de caractères, morales et religieuses. L'essentiel de son œuvre fut produite entre 1610 et 1625, période durant laquelle il jouit d'une très grande popularité comme homme de théâtre et fréquente assidûment la Cour et les milieux littéraires. Cette popularité est brusquement interrompue lorsqu'en 1624, une « Assemblée de Réforme » l'accuse, lui et d'autres auteurs, de corrompre les mœurs par des « comédies profanes ». Il est alors condamné à quitter la Cour et il lui est interdit d'écrire pour le théâtre. En 1632 il est nommé chroniqueur de l'Ordre de la Merci, puis commandeur du couvent de Soria. Il y meurt en février 1648.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4827
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Tirso de Molina
Le timide au palais
Auteur peu connu en dehors de l’Espagne, Tirso de Molina est néanmoins cité souvent, mais uniquement en tant que l’auteur qui inventa Don Juan, devenu un mythe essentiel de la culture européenne, dont se sont emparé d’autres auteurs plus célèbres, comme Molière ou Mozart, lui donnant tout son lustre. Tirso aurait pourtant écrit environ 400 comedias, sans oublier quelques œuvres religieuses, des autos sacramentals, ce qui pour un religieux paraît incontournable. Son théâtre lui a valu quelques ennuis avec la hiérarchie de son ordre, sans qu’il y renonce, ni soit trop inquiété. Son œuvre se place en continuité de celle de Lope de Vega, dans un mélange de genres, dans des registres différents.
Le timide au palais semble avoir été écrit entre 1611 et 1613, la première édition quand à elle date de 1624. L’intrigue de la pièce est complexe. Ruy Lorenzo, le secrétaire du duc d’Aveiro souhaite venger l’honneur de sa sœur, séduite par le comte d’Estremoz. Il falsifie donc la signature du duc pour commander l’assassinat du comte, mais le complot est découvert et Ruy doit s’enfuir. Son chemin croise celui de Mireno, qui vit comme un simple berger avec son père, mais qui séduit toutefois la fille du duc, qui en fait le nouveau secrétaire de son père. Mais Mireno s’avère être le fils du roi de Portugal, chassé et obligé de se cacher sous des habits de berger. Il finit par être rappelé sur le trône et Mireno peut prétendre à la main de Madalena. La perfidie du comte est dévoilée, permettant un retour en grâce de Ruy.
Dans une sorte de discussion à la suite de la représentation de la pièce, différents spectateurs fictifs débattent de la qualité de l’oeuvre. Certains lui reprochent de ne pas respecter l’histoire ( l’histoire du roi de Portugal devenu berger est une pure invention de l’auteur), d’autres de ne pas respecter les règles du théâtre, telles qu’Aristote a pu les définir. Mais des défenseurs surgissent, défendant le droit de l’auteur à inventer, à créer, du moment où il procure du plaisir au spectateur. Quand aux règles, ce sont celles du théâtre en usage en Espagne à l’époque qui sont les bonnes. Les auteurs contemporains, Lope de Vega en tête, ont en quelque sorte perfectionné les règles antiques, comme les peintres ont pu perfectionné leur art en améliorant leur technique. Lope de Vega est comparé aux grands créateurs antiques et c’est son art qu’il convient de prendre comme modèle désormais.
La pièce est plutôt bien construite, même si l’intrigue est un peu complexe à suivre. Des scènes de comédie (avec l’inévitable valet) alternent avec le tragique et le pathétique, créant des effets de rupture. Cela se lit facilement, sans déplaisir, sans être vraiment marquant non plus, un peu prévisible quand même dans son déroulé et dans le fonctionnement des personnages.
Auteur peu connu en dehors de l’Espagne, Tirso de Molina est néanmoins cité souvent, mais uniquement en tant que l’auteur qui inventa Don Juan, devenu un mythe essentiel de la culture européenne, dont se sont emparé d’autres auteurs plus célèbres, comme Molière ou Mozart, lui donnant tout son lustre. Tirso aurait pourtant écrit environ 400 comedias, sans oublier quelques œuvres religieuses, des autos sacramentals, ce qui pour un religieux paraît incontournable. Son théâtre lui a valu quelques ennuis avec la hiérarchie de son ordre, sans qu’il y renonce, ni soit trop inquiété. Son œuvre se place en continuité de celle de Lope de Vega, dans un mélange de genres, dans des registres différents.
Le timide au palais semble avoir été écrit entre 1611 et 1613, la première édition quand à elle date de 1624. L’intrigue de la pièce est complexe. Ruy Lorenzo, le secrétaire du duc d’Aveiro souhaite venger l’honneur de sa sœur, séduite par le comte d’Estremoz. Il falsifie donc la signature du duc pour commander l’assassinat du comte, mais le complot est découvert et Ruy doit s’enfuir. Son chemin croise celui de Mireno, qui vit comme un simple berger avec son père, mais qui séduit toutefois la fille du duc, qui en fait le nouveau secrétaire de son père. Mais Mireno s’avère être le fils du roi de Portugal, chassé et obligé de se cacher sous des habits de berger. Il finit par être rappelé sur le trône et Mireno peut prétendre à la main de Madalena. La perfidie du comte est dévoilée, permettant un retour en grâce de Ruy.
Dans une sorte de discussion à la suite de la représentation de la pièce, différents spectateurs fictifs débattent de la qualité de l’oeuvre. Certains lui reprochent de ne pas respecter l’histoire ( l’histoire du roi de Portugal devenu berger est une pure invention de l’auteur), d’autres de ne pas respecter les règles du théâtre, telles qu’Aristote a pu les définir. Mais des défenseurs surgissent, défendant le droit de l’auteur à inventer, à créer, du moment où il procure du plaisir au spectateur. Quand aux règles, ce sont celles du théâtre en usage en Espagne à l’époque qui sont les bonnes. Les auteurs contemporains, Lope de Vega en tête, ont en quelque sorte perfectionné les règles antiques, comme les peintres ont pu perfectionné leur art en améliorant leur technique. Lope de Vega est comparé aux grands créateurs antiques et c’est son art qu’il convient de prendre comme modèle désormais.
La pièce est plutôt bien construite, même si l’intrigue est un peu complexe à suivre. Des scènes de comédie (avec l’inévitable valet) alternent avec le tragique et le pathétique, créant des effets de rupture. Cela se lit facilement, sans déplaisir, sans être vraiment marquant non plus, un peu prévisible quand même dans son déroulé et dans le fonctionnement des personnages.
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Re: Tirso de Molina
Don Gil aux chausses vertes
Créée en 1615, la pièce est une véritable comédie, une comédie intrigue et forcément il y est question d’amour. Dona Juana est séduite par Don Martin, qui la quitte sur l’injonction de son père pour épouser un meilleur parti, une certaine dona Ines. Pour éviter une contestation du mariage projeté, il change de nom, doit s’appeler désormais Don Gil. Mais Juana le suit, se déguise en homme, et sous le nom de Gil séduit la promise de Martin, qui refuse désormais de regarder le fiancé choisi par son père, et revendique d’épouser l’autre Don Gil, dont le signe distinctif sont les chausses vertes du titre, en réalité Juana déguisée en homme. Pour complexifier l’intrigue, Juana se présente aussi à Ines sous une apparence féminine, celle d’une certaine Elvire, qui se fait connaître comme une femme séduite par Martin, dont elle révèle la fausse identité. Elle profite de la confusion introduite par le nom de Gil attribué à deux personnes pour s’approprier des lettres destinées à Martin, à détourner une lettre de change etc. Tout cela est encore compliqué par la présence d’une cousine d’Ines, qui succombe elle aussi aux charmes du Gil aux chausses vertes, ainsi que de deux soupirants, tout d’un coup mis sur la touche par le nouveau venu et qui souhaite s’en venger.
Lope de Vega, le grand modèle de Tirso de Molina n’a pas vraiment apprécié cette pièce, la jugeant trop invraisemblable, trop extravagante. Elle l’est certainement, mais c’est peut-être là justement que se manifeste son charme. Le personnage de Juana, qui mène le jeu, qui prend plaisir à brouiller les cartes, des genres, des identités, des sentiments, par moments presque plus par plaisir que pour atteindre son but, est vraiment étonnant. La couleur verte des chausses emblématiques n’est pas due au hasard : celle couleur signifiait à l’époque ce qui est éphémère et mouvant, comme la jeunesse, l’espérance, la chance, le hasard, le jeu, le destin. Personnage en perpétuel mouvement, changeant d’apparence en permanence, se jouant des codes sociaux, libre et insolente Juana écrase un peu les autres personnages. Elle détourne le mensonge de Martin à son avantage, plutôt que victime, elle est une sorte de vengeresse masquée par des identités de substitution, qui lui donnent la possibilité d’échapper aux limites que lui impose sa condition de jeune fille. Elle crée un monde de mirages, où il devient difficile de distinguer le vrai du faux, de savoir qui est qui, où est le bien et le mal.
C’est une jolie réussite, il est juste presque dommage que tout cela se termine par trois mariages, sans doute quelque peu obligés dans la comédie, mais on se dit que Juana va bien s’ennuyer avec Martin, qui n’a rien de bien remarquable, et surtout, qu’il a bien moins d’esprit qu’elle.
Créée en 1615, la pièce est une véritable comédie, une comédie intrigue et forcément il y est question d’amour. Dona Juana est séduite par Don Martin, qui la quitte sur l’injonction de son père pour épouser un meilleur parti, une certaine dona Ines. Pour éviter une contestation du mariage projeté, il change de nom, doit s’appeler désormais Don Gil. Mais Juana le suit, se déguise en homme, et sous le nom de Gil séduit la promise de Martin, qui refuse désormais de regarder le fiancé choisi par son père, et revendique d’épouser l’autre Don Gil, dont le signe distinctif sont les chausses vertes du titre, en réalité Juana déguisée en homme. Pour complexifier l’intrigue, Juana se présente aussi à Ines sous une apparence féminine, celle d’une certaine Elvire, qui se fait connaître comme une femme séduite par Martin, dont elle révèle la fausse identité. Elle profite de la confusion introduite par le nom de Gil attribué à deux personnes pour s’approprier des lettres destinées à Martin, à détourner une lettre de change etc. Tout cela est encore compliqué par la présence d’une cousine d’Ines, qui succombe elle aussi aux charmes du Gil aux chausses vertes, ainsi que de deux soupirants, tout d’un coup mis sur la touche par le nouveau venu et qui souhaite s’en venger.
Lope de Vega, le grand modèle de Tirso de Molina n’a pas vraiment apprécié cette pièce, la jugeant trop invraisemblable, trop extravagante. Elle l’est certainement, mais c’est peut-être là justement que se manifeste son charme. Le personnage de Juana, qui mène le jeu, qui prend plaisir à brouiller les cartes, des genres, des identités, des sentiments, par moments presque plus par plaisir que pour atteindre son but, est vraiment étonnant. La couleur verte des chausses emblématiques n’est pas due au hasard : celle couleur signifiait à l’époque ce qui est éphémère et mouvant, comme la jeunesse, l’espérance, la chance, le hasard, le jeu, le destin. Personnage en perpétuel mouvement, changeant d’apparence en permanence, se jouant des codes sociaux, libre et insolente Juana écrase un peu les autres personnages. Elle détourne le mensonge de Martin à son avantage, plutôt que victime, elle est une sorte de vengeresse masquée par des identités de substitution, qui lui donnent la possibilité d’échapper aux limites que lui impose sa condition de jeune fille. Elle crée un monde de mirages, où il devient difficile de distinguer le vrai du faux, de savoir qui est qui, où est le bien et le mal.
C’est une jolie réussite, il est juste presque dommage que tout cela se termine par trois mariages, sans doute quelque peu obligés dans la comédie, mais on se dit que Juana va bien s’ennuyer avec Martin, qui n’a rien de bien remarquable, et surtout, qu’il a bien moins d’esprit qu’elle.
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Re: Tirso de Molina
Le trompeur de Séville
La pièce le plus célèbre de Tirso de Molina, même si la voir jouée n’est guère probable. Sans doute écrite vers 1620 elle semble avoir connu un certain succès et sera éditée 1630 avec d’autres pièces de l’auteur. Les spécialistes ont tenté de trouver des sources à l’oeuvre de Tirso, aussi bien en Espagne qu’en Europe. Divers récits traditionnels évoquent l’histoire d’un jeune homme qui se moque d’un mort, par exemple d’un crâne et qui en est châtié. Tirso y associe le thème relativement courant de l’homme qui trompe les femmes et en fait une trame marquante, qui donnera naissance à un mythe essentiel de la culture européenne, celui de don Juan.
La première journée (ou acte) de la pièce débute à Naples. Profitant de la nuit, don Juan Tenario s’introduit chez Isabelle, en se faisant passer pour son fiancé, Octavio. Elle se rend compte de la supercherie et le fait prendre, mais il peut s’échapper grâce à la complicité de son oncle. Naufragé sur une plage de Tarragone, il est sauvé par un pêcheur. Tisbea, dont ce dernier est amoureux et qui jusque là refusait tout amour, succombe aux charmes de don Juan, qui lui promet le mariage pour la séduire. Pendant ce temps, le roi projette le mariage de don Juan avec dona Ana, ce dont il avertit son père, Gonzalo.
Au début de la deuxième journée, l’affaire de Naples est révélée au roi, qui décide d’exiler don Juan et lui faire épouser Isabelle, Octavio devant récupérer dona Ana en guise de lot de consolation. Le père de don Juan, don Diego, lui fait la morale. En pure perte : son fils est dans une intrigue pour abuser dona Ana, grâce à une lettre détournée. Reconnu il doit pour s’enfuir, tuer Gonzalo, le père de dona Ana. Il tombe sur une noce paysanne, la mariée devient sa nouvelle proie, grâce encore une fois à une promesse de mariage.
Dans la troisième journée, un certain nombre de victimes de Don Juan décident d’aller voir le roi pour le faire châtier. Dans une nouvelle fuite Don Juan passe près du tombeau de Gonzalo, qu’il invite par dérision à un souper chez lui. La statue de Gonzalo s’y présente bien et à la fin du repas invite don Juan à son tour, qui accepte. don Diego essaie malgré tous ses méfaits, de défendre son fils devant le roi, qui se montre bien peu sévère avec Don Juan. Ce dernier va au souper de Gonzalo, qui est décidé à le précipiter dans l’Enfer et refuse à don Juan la confession et le repentir que ce dernier, effrayé, réclame. Pendant ce temps, devant toutes les plaintes qui arrivent au palais, le roi décide lui aussi de sévir : mais il est trop tard, la vengeance divine est arrivée avant.
Malgré de nombreux aspects et éléments de l’intrigue que l’on pourra retrouver dans d’autres œuvres avec Don Juan comme héros, cette pièce fondatrice a son caractère et sa signification propres, que l’on ne retrouvera pas par la suite.
La pièce de Tirso et le personnage de Don Juan tel qu’il apparaît ici appartiennent à une esthétique baroque : nous sommes dans le désordre, une forme de chaos, dans un mouvements permanent qui reflètent un monde en crise, dans lequel les hiérarchies et valeurs sont remises en cause, un monde éphémère et précaire. Ainsi, Don Juan ne s’arrête jamais, il est en permanence en fuite. Il est entraîné à bouger sans cesse, il passe d’un lieu à un autre, d’un milieu social à un autre : palais, demeure paysanne, chaumière de pêcheurs, comme s’ils se valaient tous. Comme se valent toutes les femmes qu’il rencontre. Son univers est un monde d’apparences et de mensonges, il semble vivre surtout la nuit, en reniant son nom, en dérogeant à son statut.
Il est le révélateur de la crise de valeurs que traverse la société espagnole de son temps. Sans parler de véritable déclin, l’Espagne est au début d’un affaiblissement, politique, militaire et économique, mais aussi moral et religieux. Bien que représentant d’une grande famille aristocratique, Don Juan rejette les règles sociales admises. Perturbateur des normes en vigueur, il révèle leurs failles et déficiences. Nous sommes dans une société fortement patriarcale, avec une hiérarchie très forte qui s’appuie sur l’autorité de la religion. Les trois sources du pouvoir sont Dieu, le roi (délégué de la puissance divine) et le père. Don Juan qui se qualifie à un moment « d’homme sans nom », commet de ce fait une sorte de parricide symbolique et se place en dehors de la hiérarchie sociale. Il montre la faiblesse de cette hiérarchie : il n’est jamais véritablement sanctionné pour ses méfaits, son père et le roi lui pardonnent jusqu’au dénouement final. Au moment où le roi se décide à sévir (et le ferrait-il véritablement?) il est trop tard, le châtiment divin s’est déjà manifesté. Il s’appuie sur sa fortune et son statut pour satisfaire ses désirs sachant qu’il court peu de risques d’être puni, car le punir serait une mise en cause de l’ordre social établi.
Le Don Juan de Tirso de Molina n’est pas un séducteur , il ne se donne pas cette peine: il abuse des femmes grâce à des stratagèmes (lettre dérobée par exemple) ou grâce à des mensonges (fausses promesses de mariage). D’ailleurs les femmes qu’il séduit sont aussi coupables que lui. Dona Ana met en cause la volonté de la marier de son père à un homme qu’elle n’a pas choisi ; en pensant accueillir son amant, elle succombe à Don Juan. Tisbea commet le péché d’orgueil : elle pense échapper à son destin de femme, refuse le mariage et elle est punie par la passion violente qu’elle éprouve pour Don Juan. Ces femmes sapent à leur manière l’ordre social en vigueur, qui prône un contrôle strict de la sexualité , par notamment le mariage, décidé par le père ou par le roi. Don Juan est donc révélateur de désirs coupables, de transgressions possibles, des faiblesses des femmes qu’il abuse. Il est en quelque sorte « le fléaux de Dieu » qui punit en même temps qu’il met en évidence l’inavouable. Cette sexualité féminine qui risque de devenir incontrôlable, mine l’ordre social, défie les lois de l’honneur, met en doute la filiation. Tirso de Molina ne se place pas du tout dans une perspective de valorisation du plaisir, du désir, il y a au contraire une condamnation moralisatrice, un besoin d’une régulation stricte, que Don Juan dynamite.
Mais la pièce est aussi une fable religieuse. Tirso est un religieux, il appartient à l’ordre de la Miséricorde. Le final surnaturel emprunte certains éléments à l’esthétique des autos, ces pièces religieuses caractéristiques de l’Espagne de l’époque, Tirso en a d’ailleurs écrit plusieurs. Son personnage est une sorte de saint inversé, de pécheur qui ne pourra pas être sauvé, proche du diable, ange déchu pour son orgueil. Il n’est pas athée, mais pense pouvoir abuser Dieu comme il abuse les hommes. Il diffère le repentir, mais envisage de le pratiquer. Il pense être le maître du temps, et essaie d’une certaines manière d’optimiser sa durée de vie, pour que les choses soient les plus plaisantes le plus longtemps possible. Il demande à se confesser et à se repentir, mais il le fait trop tard, Dieu ne le lui permet plus, il a usé jusqu’au bout la miséricorde divine sur laquelle il comptait. Tirso met en garde ses contemporains : un repentir tardif et qui ne serait pas sincère peut être refusé par Dieu, la pièce a une valeur morale. D’une manière peut-être moins évidente, Tirso condamne certaines pratiques de son temps, liées particulièrement aux Jésuites et à leur manière souple d’envisager certaines obligations chrétiennes.
La pièce a donc pour son auteur une portée morale et religieuse, le personnage de Don Juan est condamné sans restriction. Toutefois, elle comporte des ferments qui pourront ensuite faire de son héros une figure au moins ambiguë, voire valorisée. Sa manière forte de défier les lois divines oblige Dieu à se manifester, à orchestrer lui-même le châtiment du coupable, ce qui lui donne une stature héroïque voire exceptionnelle. La remise en cause des valeurs et l’ébranlement des hiérarchies que Don Juan provoque pourra aussi apparaître comme souhaitable à d’autres moments historiques.
D’une certaines manières, toute la matrice du mythe à venir est déjà présente dans la pièce de Tirso de Molina, qui mérite largement d’être connue et lue.
La pièce le plus célèbre de Tirso de Molina, même si la voir jouée n’est guère probable. Sans doute écrite vers 1620 elle semble avoir connu un certain succès et sera éditée 1630 avec d’autres pièces de l’auteur. Les spécialistes ont tenté de trouver des sources à l’oeuvre de Tirso, aussi bien en Espagne qu’en Europe. Divers récits traditionnels évoquent l’histoire d’un jeune homme qui se moque d’un mort, par exemple d’un crâne et qui en est châtié. Tirso y associe le thème relativement courant de l’homme qui trompe les femmes et en fait une trame marquante, qui donnera naissance à un mythe essentiel de la culture européenne, celui de don Juan.
La première journée (ou acte) de la pièce débute à Naples. Profitant de la nuit, don Juan Tenario s’introduit chez Isabelle, en se faisant passer pour son fiancé, Octavio. Elle se rend compte de la supercherie et le fait prendre, mais il peut s’échapper grâce à la complicité de son oncle. Naufragé sur une plage de Tarragone, il est sauvé par un pêcheur. Tisbea, dont ce dernier est amoureux et qui jusque là refusait tout amour, succombe aux charmes de don Juan, qui lui promet le mariage pour la séduire. Pendant ce temps, le roi projette le mariage de don Juan avec dona Ana, ce dont il avertit son père, Gonzalo.
Au début de la deuxième journée, l’affaire de Naples est révélée au roi, qui décide d’exiler don Juan et lui faire épouser Isabelle, Octavio devant récupérer dona Ana en guise de lot de consolation. Le père de don Juan, don Diego, lui fait la morale. En pure perte : son fils est dans une intrigue pour abuser dona Ana, grâce à une lettre détournée. Reconnu il doit pour s’enfuir, tuer Gonzalo, le père de dona Ana. Il tombe sur une noce paysanne, la mariée devient sa nouvelle proie, grâce encore une fois à une promesse de mariage.
Dans la troisième journée, un certain nombre de victimes de Don Juan décident d’aller voir le roi pour le faire châtier. Dans une nouvelle fuite Don Juan passe près du tombeau de Gonzalo, qu’il invite par dérision à un souper chez lui. La statue de Gonzalo s’y présente bien et à la fin du repas invite don Juan à son tour, qui accepte. don Diego essaie malgré tous ses méfaits, de défendre son fils devant le roi, qui se montre bien peu sévère avec Don Juan. Ce dernier va au souper de Gonzalo, qui est décidé à le précipiter dans l’Enfer et refuse à don Juan la confession et le repentir que ce dernier, effrayé, réclame. Pendant ce temps, devant toutes les plaintes qui arrivent au palais, le roi décide lui aussi de sévir : mais il est trop tard, la vengeance divine est arrivée avant.
Malgré de nombreux aspects et éléments de l’intrigue que l’on pourra retrouver dans d’autres œuvres avec Don Juan comme héros, cette pièce fondatrice a son caractère et sa signification propres, que l’on ne retrouvera pas par la suite.
La pièce de Tirso et le personnage de Don Juan tel qu’il apparaît ici appartiennent à une esthétique baroque : nous sommes dans le désordre, une forme de chaos, dans un mouvements permanent qui reflètent un monde en crise, dans lequel les hiérarchies et valeurs sont remises en cause, un monde éphémère et précaire. Ainsi, Don Juan ne s’arrête jamais, il est en permanence en fuite. Il est entraîné à bouger sans cesse, il passe d’un lieu à un autre, d’un milieu social à un autre : palais, demeure paysanne, chaumière de pêcheurs, comme s’ils se valaient tous. Comme se valent toutes les femmes qu’il rencontre. Son univers est un monde d’apparences et de mensonges, il semble vivre surtout la nuit, en reniant son nom, en dérogeant à son statut.
Il est le révélateur de la crise de valeurs que traverse la société espagnole de son temps. Sans parler de véritable déclin, l’Espagne est au début d’un affaiblissement, politique, militaire et économique, mais aussi moral et religieux. Bien que représentant d’une grande famille aristocratique, Don Juan rejette les règles sociales admises. Perturbateur des normes en vigueur, il révèle leurs failles et déficiences. Nous sommes dans une société fortement patriarcale, avec une hiérarchie très forte qui s’appuie sur l’autorité de la religion. Les trois sources du pouvoir sont Dieu, le roi (délégué de la puissance divine) et le père. Don Juan qui se qualifie à un moment « d’homme sans nom », commet de ce fait une sorte de parricide symbolique et se place en dehors de la hiérarchie sociale. Il montre la faiblesse de cette hiérarchie : il n’est jamais véritablement sanctionné pour ses méfaits, son père et le roi lui pardonnent jusqu’au dénouement final. Au moment où le roi se décide à sévir (et le ferrait-il véritablement?) il est trop tard, le châtiment divin s’est déjà manifesté. Il s’appuie sur sa fortune et son statut pour satisfaire ses désirs sachant qu’il court peu de risques d’être puni, car le punir serait une mise en cause de l’ordre social établi.
Le Don Juan de Tirso de Molina n’est pas un séducteur , il ne se donne pas cette peine: il abuse des femmes grâce à des stratagèmes (lettre dérobée par exemple) ou grâce à des mensonges (fausses promesses de mariage). D’ailleurs les femmes qu’il séduit sont aussi coupables que lui. Dona Ana met en cause la volonté de la marier de son père à un homme qu’elle n’a pas choisi ; en pensant accueillir son amant, elle succombe à Don Juan. Tisbea commet le péché d’orgueil : elle pense échapper à son destin de femme, refuse le mariage et elle est punie par la passion violente qu’elle éprouve pour Don Juan. Ces femmes sapent à leur manière l’ordre social en vigueur, qui prône un contrôle strict de la sexualité , par notamment le mariage, décidé par le père ou par le roi. Don Juan est donc révélateur de désirs coupables, de transgressions possibles, des faiblesses des femmes qu’il abuse. Il est en quelque sorte « le fléaux de Dieu » qui punit en même temps qu’il met en évidence l’inavouable. Cette sexualité féminine qui risque de devenir incontrôlable, mine l’ordre social, défie les lois de l’honneur, met en doute la filiation. Tirso de Molina ne se place pas du tout dans une perspective de valorisation du plaisir, du désir, il y a au contraire une condamnation moralisatrice, un besoin d’une régulation stricte, que Don Juan dynamite.
Mais la pièce est aussi une fable religieuse. Tirso est un religieux, il appartient à l’ordre de la Miséricorde. Le final surnaturel emprunte certains éléments à l’esthétique des autos, ces pièces religieuses caractéristiques de l’Espagne de l’époque, Tirso en a d’ailleurs écrit plusieurs. Son personnage est une sorte de saint inversé, de pécheur qui ne pourra pas être sauvé, proche du diable, ange déchu pour son orgueil. Il n’est pas athée, mais pense pouvoir abuser Dieu comme il abuse les hommes. Il diffère le repentir, mais envisage de le pratiquer. Il pense être le maître du temps, et essaie d’une certaines manière d’optimiser sa durée de vie, pour que les choses soient les plus plaisantes le plus longtemps possible. Il demande à se confesser et à se repentir, mais il le fait trop tard, Dieu ne le lui permet plus, il a usé jusqu’au bout la miséricorde divine sur laquelle il comptait. Tirso met en garde ses contemporains : un repentir tardif et qui ne serait pas sincère peut être refusé par Dieu, la pièce a une valeur morale. D’une manière peut-être moins évidente, Tirso condamne certaines pratiques de son temps, liées particulièrement aux Jésuites et à leur manière souple d’envisager certaines obligations chrétiennes.
La pièce a donc pour son auteur une portée morale et religieuse, le personnage de Don Juan est condamné sans restriction. Toutefois, elle comporte des ferments qui pourront ensuite faire de son héros une figure au moins ambiguë, voire valorisée. Sa manière forte de défier les lois divines oblige Dieu à se manifester, à orchestrer lui-même le châtiment du coupable, ce qui lui donne une stature héroïque voire exceptionnelle. La remise en cause des valeurs et l’ébranlement des hiérarchies que Don Juan provoque pourra aussi apparaître comme souhaitable à d’autres moments historiques.
D’une certaines manières, toute la matrice du mythe à venir est déjà présente dans la pièce de Tirso de Molina, qui mérite largement d’être connue et lue.
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