Juan José Saer
4 participants
Page 1 sur 1
Juan José Saer
Juan José Saer (1937-2005)
Juan José Saer, né le 28 juin 1937 à Serodino (province de Santa Fe, Argentine) et mort le 11 juin 2005 à Paris (France), est un écrivain argentin.
Il pratiqua différents genres littéraires mais c'est surtout dans le champ de la narration et du roman qu'il s'est exercé et que son talent a bénéficié d'une large reconnaissance. Il est considéré comme l'un des plus grands écrivains argentins contemporains1.
Il s'installa à Paris en 1968 et enseigna notamment à l'université de Rennes. Il obtint le prix Nadal en 1987 pour son roman La ocasión.
Source : Wikipédia
_________________
Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Juan José Saer
L'ancêtre
Un orphelin de 15 ans s'engage comme mousse sur un bateau qui va suivre la route des Indes récemment découverte. Une partie de l'équipage, le capitaine compris, sont massacré par des Indiens anthropophages, notre jeune héros est le seul survivant. Il va vivre pendant 10 ans chez ces Indiens, qui sont au quotidien paisibles et bienveillants, menant une vie proche de la nature. Mais une fois par an, ils font une expédition pour se procurer de la viande humaine, et lors d'un festin orgiaque se livrent à tous les excès qu'ils évitent le reste de l'année. A chaque fois, un survivant revient vers les siens avec des cadeaux. Ainsi, notre personnage est retourné aux siens lorsque les Espagnols reviennent dans la région. Il revient donc en Espagne, dans laquelle il a bien du mal à s'acclimater, d'autant plus qu'une certaine suspicion pèse sur lui. A la fin de sa vie, il écrit le récit vrai de ce qu'il lui est arrivé.
Un livre troublant, qui garde une partie de ses mystères. Jamais complètement ce que l'on pourrait en attendre. Roman d'aventures, certes. Mais ce qui arrive est quand même plutôt annoncé, et le suspens n'est pas le ressort du récit. Voyage exotique, peut être, mais finalement, on ne voit pas tant que cela de paysages, et les Indiens sont finalement vus par des sortes de petits flashs, des morceaux choisis, plus conceptuels qu'anecdotiques. Roman philosophique sans doute, mais les interprétations possibles sont extrêmement nombreuses, et pas univoques.
J'ai la sensation que l'auteur cherche quelque part à laisser le lecteur sur sa faim, pour qu'une fois le livre refermé, il soit obligé de continuer à s'interroger, et à chercher du sens, sans pouvoir clore le processus. Alors même si cette lecture ne procure pas le confort d'autres romans plus faciles à appréhender et à classifier, il laisse une trace, il est fascinant, peut être parce que dérangeant. Mais le livre peut mettre mal à l'aise ou rebuter, il ne va pas enthousiasmer tous les lecteurs.
Pour ma part, j'ai envie de continuer à découvrir l'univers singulier de cet auteur, d'être sans doute de nouveau déstabilisée. D'autant que l'écriture est magnifique.
Un orphelin de 15 ans s'engage comme mousse sur un bateau qui va suivre la route des Indes récemment découverte. Une partie de l'équipage, le capitaine compris, sont massacré par des Indiens anthropophages, notre jeune héros est le seul survivant. Il va vivre pendant 10 ans chez ces Indiens, qui sont au quotidien paisibles et bienveillants, menant une vie proche de la nature. Mais une fois par an, ils font une expédition pour se procurer de la viande humaine, et lors d'un festin orgiaque se livrent à tous les excès qu'ils évitent le reste de l'année. A chaque fois, un survivant revient vers les siens avec des cadeaux. Ainsi, notre personnage est retourné aux siens lorsque les Espagnols reviennent dans la région. Il revient donc en Espagne, dans laquelle il a bien du mal à s'acclimater, d'autant plus qu'une certaine suspicion pèse sur lui. A la fin de sa vie, il écrit le récit vrai de ce qu'il lui est arrivé.
Un livre troublant, qui garde une partie de ses mystères. Jamais complètement ce que l'on pourrait en attendre. Roman d'aventures, certes. Mais ce qui arrive est quand même plutôt annoncé, et le suspens n'est pas le ressort du récit. Voyage exotique, peut être, mais finalement, on ne voit pas tant que cela de paysages, et les Indiens sont finalement vus par des sortes de petits flashs, des morceaux choisis, plus conceptuels qu'anecdotiques. Roman philosophique sans doute, mais les interprétations possibles sont extrêmement nombreuses, et pas univoques.
J'ai la sensation que l'auteur cherche quelque part à laisser le lecteur sur sa faim, pour qu'une fois le livre refermé, il soit obligé de continuer à s'interroger, et à chercher du sens, sans pouvoir clore le processus. Alors même si cette lecture ne procure pas le confort d'autres romans plus faciles à appréhender et à classifier, il laisse une trace, il est fascinant, peut être parce que dérangeant. Mais le livre peut mettre mal à l'aise ou rebuter, il ne va pas enthousiasmer tous les lecteurs.
Pour ma part, j'ai envie de continuer à découvrir l'univers singulier de cet auteur, d'être sans doute de nouveau déstabilisée. D'autant que l'écriture est magnifique.
_________________
Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Juan José Saer
Le fleuve sans rives
Il s'agit d'un livre sur commande, le seul dans l'oeuvre de Juan José Saer : l'éditeur de Claudio Magris lui a demandé un livre sur l'exemple de Danube, consacré au Rio de la Plata, le grand fleuve argentin. Saer a écrit un livre à sa façon, bien différent de celui de Magris.
Le fleuve sans rives se composent de cinq parties : d'abord une sorte d'avant propos, puis quatre moments, qui portent chacun le nom d'une saison. Dans l'avant propos, l'auteur nous parle de son voyage, de Paris (où il vivait à l'époque) jusqu'en Argentine, à l'occasion de l'écriture de ce livre. Il évoque le voyage en avion, les souvenirs que tout cela remue en lui, la commande du livre, les questionnements que sa rédaction provoque. D'emblée, il nous laisse entendre que la question d'appartenance, d'identité, lui pose un problème, essentiel, fondamental. le livre traite aussi, en filigrane de ce questionnement. Mais Juan José Saer ne dit pas les choses d'une façon linéaire, nous sommes dans plein de détours et méandres comme ceux d'un fleuve, qu'il observe, en espérant l'inspiration pour son livre. Qui ne vient pas. Alors il se tourne vers les livres, vers ceux qui ont écrit, qui ont observé, étudié. Et aussi vers ceux qui permettent de comprendre d'une façon plus générale, donner un sens à du factuel, de transcender une expérience singulière : dès l'avant propos nous sommes confrontés à Adorno, Freud, Heidegger, Lacan, Héraclite...Nous voilà prévenu, ce sera un voyage qui n'aura pas forcément grand-chose de pittoresque ni couleur local à tout prix.
Même si cet ouvrage est difficile, voire impossible à résumer, je vais essayer de faire ressortir quelques éléments qui m'ont frappé. Déjà d'une certaine façon, le fleuve, Rio de la Plata, se confond avec l'Argentine. Parler de l'un, c'est parler de l'autre. Et parler de l'un et de l'autre, le pays où Juan José Saer est né, c'est parler de soi. L'auteur était très réticent vis-à-vis des biographies, mais dans ce livre il livre au final énormément de lui-même : pas tant en événements, mais plutôt dans la façon d'appréhender le monde, et tout particulièrement le pays dans lequel il est né et où il a grandit, avec lequel, malgré une mise en distance permanente, il garde des liens affectifs, sensoriels, qu'il nous fait entrevoir, dans une construction littéraire complexe mais jouissive.
La première partie, ÉTÉ, évoque les premiers temps, le moment où le fleuve, ou le pays qui deviendra l'Argentine a été découvert par les explorateurs venus d'Europe, et tout d'abord Juan Diaz de Solis. Saer évoque aussi les premiers habitants, les Indiens, les premiers temps de la colonisation…
L'Automne a comme fil directeur les étrangers qui ont écrit sur l'Argentine. Parce que la distance permet peut-être de mieux voir qu'une trop grande proximité. Ce qui nous ramène à la question d'identité, d'identification à une culture, qui est peut être plus une construction, un stéréotype qu'une réalité. Ils ont été nombreux, et Saer en évoque quelques uns. Il a un intérêt particulièrement fort pour Darwin, Ulrich Schmidel, Alfred Ebelot, mais aussi beaucoup d'autres. Il ne prend jamais rien pour argent comptant : il analyse, scrute, compare et nous livre sa lecture de ses lectures. Qui est aussi une façon de livrer à travers les écrits des autres.
L'Hiver évoque l'histoire politique de l'Argentine, sa violence tout particulièrement. Il dissèque impitoyablement le fonctionnement de son pays, les exactions des militaires pendant la terrible junte, et on ne peut pas dire qu'il soit très optimiste pour l'avenir.
Enfin, dans le Printemps, nous abordons une partie plus sensible pourrait-on dire (même si avec Saer, tout passe par le tamis de son redoutable intelligence), des images, des souvenirs, une évocation de sensations, d'odeurs, de couleurs etc. Mais pour finalement nous dire que ces expériences, vécues ici et maintenant pourraient être vécues ailleurs, à un autre moment, par d'autres, qui sont d'une façon les mêmes dans leur apparente diversité.
Il est vraiment impossible de rendre compte d'un tel livre, de toute sa richesse, et tous ses possibles. de toutes les façons, plusieurs lectures sont sans doute indispensables pour en appréhender les divers contenus. C'est un objet étrange, à la construction très pensée, malgré une apparence de digressions, de changements de sujets, de chemins de traverses que semble prendre régulièrement l'auteur, non pas pour égarer son lecteur, mais pour le faire arriver d'une façon plus complète non pas au but, mais à un endroit possible.
Fascinant, d'une intelligence remarquable, d'une sensibilité très contenue, qui n'empêche jamais l'esprit critique, mais qui donne aussi un sens aux choses, ce livre est un objet rare.
Il s'agit d'un livre sur commande, le seul dans l'oeuvre de Juan José Saer : l'éditeur de Claudio Magris lui a demandé un livre sur l'exemple de Danube, consacré au Rio de la Plata, le grand fleuve argentin. Saer a écrit un livre à sa façon, bien différent de celui de Magris.
Le fleuve sans rives se composent de cinq parties : d'abord une sorte d'avant propos, puis quatre moments, qui portent chacun le nom d'une saison. Dans l'avant propos, l'auteur nous parle de son voyage, de Paris (où il vivait à l'époque) jusqu'en Argentine, à l'occasion de l'écriture de ce livre. Il évoque le voyage en avion, les souvenirs que tout cela remue en lui, la commande du livre, les questionnements que sa rédaction provoque. D'emblée, il nous laisse entendre que la question d'appartenance, d'identité, lui pose un problème, essentiel, fondamental. le livre traite aussi, en filigrane de ce questionnement. Mais Juan José Saer ne dit pas les choses d'une façon linéaire, nous sommes dans plein de détours et méandres comme ceux d'un fleuve, qu'il observe, en espérant l'inspiration pour son livre. Qui ne vient pas. Alors il se tourne vers les livres, vers ceux qui ont écrit, qui ont observé, étudié. Et aussi vers ceux qui permettent de comprendre d'une façon plus générale, donner un sens à du factuel, de transcender une expérience singulière : dès l'avant propos nous sommes confrontés à Adorno, Freud, Heidegger, Lacan, Héraclite...Nous voilà prévenu, ce sera un voyage qui n'aura pas forcément grand-chose de pittoresque ni couleur local à tout prix.
Même si cet ouvrage est difficile, voire impossible à résumer, je vais essayer de faire ressortir quelques éléments qui m'ont frappé. Déjà d'une certaine façon, le fleuve, Rio de la Plata, se confond avec l'Argentine. Parler de l'un, c'est parler de l'autre. Et parler de l'un et de l'autre, le pays où Juan José Saer est né, c'est parler de soi. L'auteur était très réticent vis-à-vis des biographies, mais dans ce livre il livre au final énormément de lui-même : pas tant en événements, mais plutôt dans la façon d'appréhender le monde, et tout particulièrement le pays dans lequel il est né et où il a grandit, avec lequel, malgré une mise en distance permanente, il garde des liens affectifs, sensoriels, qu'il nous fait entrevoir, dans une construction littéraire complexe mais jouissive.
La première partie, ÉTÉ, évoque les premiers temps, le moment où le fleuve, ou le pays qui deviendra l'Argentine a été découvert par les explorateurs venus d'Europe, et tout d'abord Juan Diaz de Solis. Saer évoque aussi les premiers habitants, les Indiens, les premiers temps de la colonisation…
L'Automne a comme fil directeur les étrangers qui ont écrit sur l'Argentine. Parce que la distance permet peut-être de mieux voir qu'une trop grande proximité. Ce qui nous ramène à la question d'identité, d'identification à une culture, qui est peut être plus une construction, un stéréotype qu'une réalité. Ils ont été nombreux, et Saer en évoque quelques uns. Il a un intérêt particulièrement fort pour Darwin, Ulrich Schmidel, Alfred Ebelot, mais aussi beaucoup d'autres. Il ne prend jamais rien pour argent comptant : il analyse, scrute, compare et nous livre sa lecture de ses lectures. Qui est aussi une façon de livrer à travers les écrits des autres.
L'Hiver évoque l'histoire politique de l'Argentine, sa violence tout particulièrement. Il dissèque impitoyablement le fonctionnement de son pays, les exactions des militaires pendant la terrible junte, et on ne peut pas dire qu'il soit très optimiste pour l'avenir.
Enfin, dans le Printemps, nous abordons une partie plus sensible pourrait-on dire (même si avec Saer, tout passe par le tamis de son redoutable intelligence), des images, des souvenirs, une évocation de sensations, d'odeurs, de couleurs etc. Mais pour finalement nous dire que ces expériences, vécues ici et maintenant pourraient être vécues ailleurs, à un autre moment, par d'autres, qui sont d'une façon les mêmes dans leur apparente diversité.
Il est vraiment impossible de rendre compte d'un tel livre, de toute sa richesse, et tous ses possibles. de toutes les façons, plusieurs lectures sont sans doute indispensables pour en appréhender les divers contenus. C'est un objet étrange, à la construction très pensée, malgré une apparence de digressions, de changements de sujets, de chemins de traverses que semble prendre régulièrement l'auteur, non pas pour égarer son lecteur, mais pour le faire arriver d'une façon plus complète non pas au but, mais à un endroit possible.
Fascinant, d'une intelligence remarquable, d'une sensibilité très contenue, qui n'empêche jamais l'esprit critique, mais qui donne aussi un sens aux choses, ce livre est un objet rare.
_________________
Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Juan José Saer
ce que tu en dis me donne vraiment envie de retenter avec cet auteur
Il y a plusieurs années j'avais lu Grande Fugue dont je ne garde pratiquement plus de souvenirs à part que cela ne m'avait pas donné envie de continuer avec cet auteur... mais il se peut que ce n'était pas le bon moment
Il y a plusieurs années j'avais lu Grande Fugue dont je ne garde pratiquement plus de souvenirs à part que cela ne m'avait pas donné envie de continuer avec cet auteur... mais il se peut que ce n'était pas le bon moment
_________________
Life is a lot like Jazz
Best when you improvise
George Gershwin
Re: Juan José Saer
Tu pourrais tenter Le fleuve sans rives, tu pourrais comparer avec Danube, c'est aussi érudit, même si le point de vue est différent. Et quelle écriture.
_________________
Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Juan José Saer
Intéressant mais très ardu, il semble.
Surtout pour une première approche de l'auteur... Tu crois que je pourrais tenter @Arabella? et dans ce cas, quel autre roman de lui?
Surtout pour une première approche de l'auteur... Tu crois que je pourrais tenter @Arabella? et dans ce cas, quel autre roman de lui?
Aeriale- Messages : 11925
Date d'inscription : 30/11/2016
Re: Juan José Saer
Je n'ai lu que ces deux là, que j'ai beaucoup aimé. Alors il paraît que Saer détestait qu'on qualifie certains livres de difficiles ou de faciles, donc je ne m'y risquerais pas, mais disons que c'est complexe, pour ma part je les trouve quand même tout à fait abordables. Enfin ces deux là.
_________________
Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Juan José Saer
Ok @Arabella. Tu me rassures légèrement ;-)
Je tenterai sans doute, j'aime bien la mentalité, et surtout la sensibilité argentine. Un peu tout ce qui concerne l'Argentine, en fait..
Merci!
Je tenterai sans doute, j'aime bien la mentalité, et surtout la sensibilité argentine. Un peu tout ce qui concerne l'Argentine, en fait..
Merci!
Aeriale- Messages : 11925
Date d'inscription : 30/11/2016
Re: Juan José Saer
C'était déjà noté!
_________________
'La littérature est une maladie textuellement transmissible, que l'on contracte en général pendant l'enfance'. Jane Yolen.
domreader- Messages : 3618
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Ile de France
Re: Juan José Saer
Les nuages
Dans la torpeur d'un mois d'août caniculaire à Pairs, Pigeon Garay, un personnage récurrent de Saer, reçoit un manuscrit d'Argentine, un récit "qui pourrait s'intituler" Les nuages. le livre que nous allons lire, et dont nous ne saurons jamais s'il est une fiction, un témoignage, une invention, un récit authentique transformé en fiction...
Un certain Real, médecin formé à Paris, mais originaire d'Argentine, raconte une expérience tentée avec son mentor, le docteur Weiss, rencontré en Europe et qui a décidé d'installer dans le pays natal de Real une maison de santé réservée aux malades mentaux. Une maison révolutionnaire dans ce tout début du XIXe siècle, où il s'agit de soigner, sans réprimer ni faire souffrir, l'âme (ou l'esprit) étant aussi pris en compte que l'aspect purement médical. Une sorte d'utopie dans ce siècle qui va beaucoup en produire. Qui va prendre fin dans la violence, tant cette problématique et l'approche iconoclaste de Weiss éveillent de la suspicion et de l'inquiétude et heurtent les mentalités, dans un pays violent, en proie aux changements de régimes, aux guerres. Mais le moment essentiel de cette sorte d'épopée moderne de la science, est un voyage que Real a entrepris pour amener à la maison de santé 5 malades, qu'il est allé chercher dans sa région d'origine. Un voyage qui va prendre l'allure d'une sorte d'épopée, d'un mythe, d'une métaphore.
Saer, comme à son habitude, fait semblant de s'adonner à un (des) genre(s) qu'il détourne, subvertit, dont il fait une lecture en faisant des pas de côtés. Récit de voyage, roman d'aventures, presque une sorte de western, roman scientifique, évoquant la psychiatrie du début du XIXe siècle etc. La construction est bluffante, l'auteur joue en permanence avec son lecteur, l'égare dans des méandres, provoque une sorte de frustration, en arrêtant la narration en cours pour partir à un autre moment, sur une autre thématique... le coeur du récit sont les 5 malades, leur rencontre avec Real, leur histoire, le diagnostic et leur comportement pendant le voyage où rien ne se déroule comme cela devait se dérouler.
Dès la quatrième de couverture, le lecteur est prévenu : la frontière entre la normalité et la folie va être floue, questionnée. J'ai surtout eu la sensation que les malades étaient des sortes de métaphores, qu'ils poussaient à l'extrême des comportements, des attitudes liés aux domaines jugés essentiels par les hommes depuis qu'ils existent. Trois d'entre eux me semblent relativement clair : la soeur Teresita représente le discours et le rapport à la religion, au mysticisme, à la foi, Troncoso se réserve le politique, le pouvoir, la direction des hommes, Prudencio le savoir, la philosophie, la quête de la sagesse, sans oublier deux frères dont le rapport au langage est perturbé et perturbant. Leur supposée maladie n'empêche pas les deux premiers d'avoir un certain aura auprès d'un certain nombre de personnes, et on se dit qu'ils auraient peut-être pu, au lieu d'aller rejoindre la maison de santé du docteur Weiss, avoir leurs partisans et fonder leur église ou leur état. D'ailleurs, à quel point leurs visions du monde sont différentes de l'entreprise qui se révèle chimérique des docteurs Weiss et Real ?
Les étranges aventures du voyage ne ressemblent à aucun moment à ce que le lecteur s'attend à lire, par exemple la rencontre que l'on pressent avec le dangereux bandit Josesito. Le passage final, dans lequel le choix du titre trouve une justification, sinon une clarification univoque, est une vraie splendeur, et questionne le rapport de l'homme au monde, à la nature, aux éléments, à la culture. Qu'une maison de « fous » apparaisse dans le dénouement comme un havre de paix et de normalité, montre le sens du second degré de Saer.
Comme toujours avec l'auteur, un livre à relire pour essayer d'en saisir un peu plus, et pour profiter de cette écriture splendide, baroque et précise à la fois.
Dans la torpeur d'un mois d'août caniculaire à Pairs, Pigeon Garay, un personnage récurrent de Saer, reçoit un manuscrit d'Argentine, un récit "qui pourrait s'intituler" Les nuages. le livre que nous allons lire, et dont nous ne saurons jamais s'il est une fiction, un témoignage, une invention, un récit authentique transformé en fiction...
Un certain Real, médecin formé à Paris, mais originaire d'Argentine, raconte une expérience tentée avec son mentor, le docteur Weiss, rencontré en Europe et qui a décidé d'installer dans le pays natal de Real une maison de santé réservée aux malades mentaux. Une maison révolutionnaire dans ce tout début du XIXe siècle, où il s'agit de soigner, sans réprimer ni faire souffrir, l'âme (ou l'esprit) étant aussi pris en compte que l'aspect purement médical. Une sorte d'utopie dans ce siècle qui va beaucoup en produire. Qui va prendre fin dans la violence, tant cette problématique et l'approche iconoclaste de Weiss éveillent de la suspicion et de l'inquiétude et heurtent les mentalités, dans un pays violent, en proie aux changements de régimes, aux guerres. Mais le moment essentiel de cette sorte d'épopée moderne de la science, est un voyage que Real a entrepris pour amener à la maison de santé 5 malades, qu'il est allé chercher dans sa région d'origine. Un voyage qui va prendre l'allure d'une sorte d'épopée, d'un mythe, d'une métaphore.
Saer, comme à son habitude, fait semblant de s'adonner à un (des) genre(s) qu'il détourne, subvertit, dont il fait une lecture en faisant des pas de côtés. Récit de voyage, roman d'aventures, presque une sorte de western, roman scientifique, évoquant la psychiatrie du début du XIXe siècle etc. La construction est bluffante, l'auteur joue en permanence avec son lecteur, l'égare dans des méandres, provoque une sorte de frustration, en arrêtant la narration en cours pour partir à un autre moment, sur une autre thématique... le coeur du récit sont les 5 malades, leur rencontre avec Real, leur histoire, le diagnostic et leur comportement pendant le voyage où rien ne se déroule comme cela devait se dérouler.
Dès la quatrième de couverture, le lecteur est prévenu : la frontière entre la normalité et la folie va être floue, questionnée. J'ai surtout eu la sensation que les malades étaient des sortes de métaphores, qu'ils poussaient à l'extrême des comportements, des attitudes liés aux domaines jugés essentiels par les hommes depuis qu'ils existent. Trois d'entre eux me semblent relativement clair : la soeur Teresita représente le discours et le rapport à la religion, au mysticisme, à la foi, Troncoso se réserve le politique, le pouvoir, la direction des hommes, Prudencio le savoir, la philosophie, la quête de la sagesse, sans oublier deux frères dont le rapport au langage est perturbé et perturbant. Leur supposée maladie n'empêche pas les deux premiers d'avoir un certain aura auprès d'un certain nombre de personnes, et on se dit qu'ils auraient peut-être pu, au lieu d'aller rejoindre la maison de santé du docteur Weiss, avoir leurs partisans et fonder leur église ou leur état. D'ailleurs, à quel point leurs visions du monde sont différentes de l'entreprise qui se révèle chimérique des docteurs Weiss et Real ?
Les étranges aventures du voyage ne ressemblent à aucun moment à ce que le lecteur s'attend à lire, par exemple la rencontre que l'on pressent avec le dangereux bandit Josesito. Le passage final, dans lequel le choix du titre trouve une justification, sinon une clarification univoque, est une vraie splendeur, et questionne le rapport de l'homme au monde, à la nature, aux éléments, à la culture. Qu'une maison de « fous » apparaisse dans le dénouement comme un havre de paix et de normalité, montre le sens du second degré de Saer.
Comme toujours avec l'auteur, un livre à relire pour essayer d'en saisir un peu plus, et pour profiter de cette écriture splendide, baroque et précise à la fois.
_________________
Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Juan José Saer
L'enquête
Paru en 1994 en espagnol et dès 1996 en français, c'est l'un des derniers romans de l'auteur argentin. Deux textes le composent, se succèdent, s'entremêlent, l'un devenant une partie de l'autre. Cela commence comme un roman policier, avec ses codes, ses spécificités rapidement reconnaissables par le lecteur. Morvan mène une enquête, une traque, pour essayer de déjouer les agissements d'un dangereux tueur de vieilles dames. Les cadavres s'amoncellent, et la police, malgré toute son implication, semble impuissante. le deuxième récit met en scène Pigeon Garay, un personnage récurrent chez Saer. Il est de retour en Argentine, pour régler des histoires d'héritage. Il retrouve des amis, mais il a du mal à éprouver une réelle émotion à vivre ce retour. Tout lui paraît comme étranger. Son ami Tomatis l'amène voir la fille d'un écrivain disparu, un manuscrit a été retrouvé, peut-être génial, en tous les cas très mystérieux, mais la fille refuse qu'il sorte de la maison. Il raconte un moment de la guerre de Troie, un dialogue entre deux soldats, un qui a vécu la guerre et l'autre qui vient d'arriver. On finit pas comprendre que le premier récit, celui de la traque policière, est raconté par Pigeon Garay à ses amis.
C'est le roman de l'entre deux, entre Paris et l'énigme policière, et l'Argentine et l'énigme du retour. Même en Argentine Pigeon Garay est encore à Paris. Comme Morvan qui navigue entre Paris et une ville mystérieuse qui hante ses rêves, aussi réel que la première. C'est le roman de la dualité absolue. Tout semble avoir son double. Pigeon a un frère jumeau disparu, Morvan son assistant, Lautret, les deux soldats grecs se complètent.
C'est aussi le roman de la fiction, de sa toute puissance, de sa réalité propre. le récit de Pigeon est censé raconté un fait divers, mais à quel moment devient-il une création du narrateur ? A quel moment ses auditeurs se l'approprient ? Qui a écrit le mystérieux texte Sous les tentes grecques ? Texte qui questionne le statut de témoin et affirme le primat de la fiction, de la reconstruction. Les différents plans de la réalité se superposent, coexistent, incompatibles et pourtant indispensables chacun à sa façon. L'enquête policière qui respecte pourtant toutes les règles, qui fournit les pistes attendues, les suspects logiques, est déroutante avec ses surprises, ses retournements. Toujours décevants, jamais totalement certains. le jeu des inversions pourrait se poursuivre, sans jamais aboutir à une véritable certitude. L'auteur a en principe le pouvoir de fixer la vérité, d'arrêter à un moment le jeu des possibles. Mais détient aussi la possibilité de ne jamais trancher vraiment, de laisser le lecteur dans le doute. Ou avec ses certitudes propres, qui ont autant de poids que celles de l'auteur.
C'est fascinant, dérangeant, brillant, questionnant. Saer a vraiment son univers, d'une densité rare.
Paru en 1994 en espagnol et dès 1996 en français, c'est l'un des derniers romans de l'auteur argentin. Deux textes le composent, se succèdent, s'entremêlent, l'un devenant une partie de l'autre. Cela commence comme un roman policier, avec ses codes, ses spécificités rapidement reconnaissables par le lecteur. Morvan mène une enquête, une traque, pour essayer de déjouer les agissements d'un dangereux tueur de vieilles dames. Les cadavres s'amoncellent, et la police, malgré toute son implication, semble impuissante. le deuxième récit met en scène Pigeon Garay, un personnage récurrent chez Saer. Il est de retour en Argentine, pour régler des histoires d'héritage. Il retrouve des amis, mais il a du mal à éprouver une réelle émotion à vivre ce retour. Tout lui paraît comme étranger. Son ami Tomatis l'amène voir la fille d'un écrivain disparu, un manuscrit a été retrouvé, peut-être génial, en tous les cas très mystérieux, mais la fille refuse qu'il sorte de la maison. Il raconte un moment de la guerre de Troie, un dialogue entre deux soldats, un qui a vécu la guerre et l'autre qui vient d'arriver. On finit pas comprendre que le premier récit, celui de la traque policière, est raconté par Pigeon Garay à ses amis.
C'est le roman de l'entre deux, entre Paris et l'énigme policière, et l'Argentine et l'énigme du retour. Même en Argentine Pigeon Garay est encore à Paris. Comme Morvan qui navigue entre Paris et une ville mystérieuse qui hante ses rêves, aussi réel que la première. C'est le roman de la dualité absolue. Tout semble avoir son double. Pigeon a un frère jumeau disparu, Morvan son assistant, Lautret, les deux soldats grecs se complètent.
C'est aussi le roman de la fiction, de sa toute puissance, de sa réalité propre. le récit de Pigeon est censé raconté un fait divers, mais à quel moment devient-il une création du narrateur ? A quel moment ses auditeurs se l'approprient ? Qui a écrit le mystérieux texte Sous les tentes grecques ? Texte qui questionne le statut de témoin et affirme le primat de la fiction, de la reconstruction. Les différents plans de la réalité se superposent, coexistent, incompatibles et pourtant indispensables chacun à sa façon. L'enquête policière qui respecte pourtant toutes les règles, qui fournit les pistes attendues, les suspects logiques, est déroutante avec ses surprises, ses retournements. Toujours décevants, jamais totalement certains. le jeu des inversions pourrait se poursuivre, sans jamais aboutir à une véritable certitude. L'auteur a en principe le pouvoir de fixer la vérité, d'arrêter à un moment le jeu des possibles. Mais détient aussi la possibilité de ne jamais trancher vraiment, de laisser le lecteur dans le doute. Ou avec ses certitudes propres, qui ont autant de poids que celles de l'auteur.
C'est fascinant, dérangeant, brillant, questionnant. Saer a vraiment son univers, d'une densité rare.
_________________
Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum