Ahmet Altan

Ahmet Altan




Ahmet Altan, né en 1950, est un des journalistes les plus renommés de Turquie.
Accusé pour implication présumée dans le putsch manqué du 15 juillet 2016, Ahmet Altan a été emprisonné plus de quatre ans à Istanbul avant d'être libéré (en avril 2021) sur ordre de la Cour de cassation de Turquie.
Son œuvre de romancier, qui a par ailleurs connu un grand succès, est traduite en plusieurs langues. Après Comme une blessure de sabre (Actes Sud, 2000) et L'Amour au temps des révoltes (Actes Sud, 2008), ses textes de prison intitulés Je ne reverrai plus le monde ont paru en 2019. Ce livre a été couronné par le prix André Malraux 2019.
En 2021 paraît Madame Hayat, qui vient d'obtenir le Prix Femina étranger 2021.

Je ne reverrai plus le monde

Ahmet Altan est romancier, essayiste et journaliste, il était aussi rédacteur en chef du quotidien Taraf jusqu’au 15 juillet 2016. À cette date, la Turquie s’enflamme, des milliers de personnes descendent dans la rue à Istanbul et à Ankara suite à une tentative de putsch. Le lendemain commence une vague d’arrestations parmi les fonctionnaires, les enseignants, l’armée et les journalistes. Ahmet Altan fait partie de ceux-là, il sera condamné à perpétuité, accusé d’avoir appelé au renversement du gouvernement de l’AKP.
Ces textes sont écrits du fond de sa cellule. Poignants, remarquablement maîtrisés, ces allers-retours entre réflexions, méditations et sensations expriment le quotidien du prisonnier mais ils disent aussi combien l’écriture est pour lui salvatrice. Tel un credo il s’en remet à son imagination, à la force des mots.
Un livre de résilience exemplaire.

Difficile de reconnaitre que ce texte - écrit dans une si longue et absurde incarcération - a été pour moi un tel "coup de cœur".
Tout est relaté au fil du temps, de l'arrestation, à la première nuit en cellule, le premier réveil, la visite chez le médecin, le temps et l'espace partagé avec ses co-détenus, etc...
Sur chacun de ces moments, Ahmet Altan n'en tire jamais une écriture amère. Au contraire, dans chacun de ces textes (19 au total), la prison est bel et bien présente, mais force est de constater qu'il s'en dégage une telle positivité, une telle force, une telle dignité.

Deux extraits :

Si je regarde à travers les barreaux, la dernière chose que je vois avant de m'endormir, couché sur mon lit de fer, sous une couverture propriété de l'Etat, est le grillage métallique tendu au-dessus de la cour.
Cette image pourtant, à ce jour, n'a jamais trouvé sa place dans mes rêves. S'il m'est arrivé quelquefois de rêver que je sortais de prison, la vie en cellule proprement dite ne semble fournir aucune matière à mes rêves.
Je crois simplement que pour l'instant, la prison n'intéresse pas les "rêveux" en moi.

J'écris cela dans une cellule de prison
Mais je ne suis pas en prison.
Je suis écrivain.
Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas.
Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m'enfermerez jamais.
Car comme tous les écrivains, j'ai un pouvoir magique : je passe sans encombre les murailles.

Madame Hayat

Fazıl, le jeune narrateur de ce livre, part faire des études de lettres loin de chez lui. Devenu boursier après le décès de son père, il loue une chambre dans une modeste pension, un lieu fané où se côtoient des êtres inoubliables à la gravité poétique, qui tentent de passer entre les mailles du filet d’une ville habitée de présences menaçantes.
Au quotidien, Fazıl gagne sa vie en tant que figurant dans une émission de télévision, et c’est en ces lieux de fictions qu’il remarque une femme voluptueuse, vif-argent, qui pourrait être sa mère. Parenthèse exaltante, Fazıl tombe éperdument amoureux de cette Madame Hayat qui l’entraîne comme au-delà de lui-même. Quelques jours plus tard, il fait la connaissance de la jeune Sıla. Double bonheur, double initiation, double regard sur la magie d’une vie.

Prix Femina étranger 2021.

Ahmet Altan a écrit ce roman en prison.

Moi qui l'ai découvert par ses textes - donc un tout autre registre - je suis tombé sous le charme de ce roman.
Encore une fois, l'auteur prouve sa grande liberté d'écrire.
J'ai trouvé tellement de chose dans ce roman.
Bien sûr, ce que vit l'auteur au travers de son enfermement, se retrouve : ce jeune homme qui voit du jour au lendemain son quotidien bouleversé, sa condition chamboulée.
On aime le quotidien de Fazıl, partagé entre ses cours à l'université, son petit boulot étonnant, ses deux "amours", et aussi cet endroit si particulier où il vit, cette "auberge espagnole", où se côtoient toute une galerie de personnages fascinants et attachants.
Le jeune héros se retrouve au milieu de cette double histoire d'amour, qui est pour lui un apprentissage de la sensualité (de la vie), mais aussi dans un pays qui bouge, avec les arrestations, et ce climat de plus en plus inquiétant. A bien des égards, on sent que l'heure des choix va venir...

Intéressant, je crois que ça pourrait me plaire.

J'ajoute que Je ne reverrai plus le monde est paru très récemment en poche.

On parlait justement de cet auteur et de son roman Madame Hayat l’autre jour dans notre petit groupe de lecture 

L’amie qui l’avait pris et lu en partie était sous le charme. J’e l’aurai en main sans doute bientôt aussi, à suivre :-)

Madame Hayat

Tout à fait d’accord avec  @Nightingale, quel magnifique roman ! 
Enfermé dans un cachot pendant près de cinq ans, Ahmet Altan fait fi de son emprisonnement en s’évadant par la pensée et en écrivant ce roman autour d’un personnage extraordinaire, Madame Hayat, femme libre et indépendante qui croque la vie à pleines dents. 
L’auteur nous parle ici avec beaucoup d’habileté, d’écartèlement et de choix à faire, avec en toile de fond, la gouvernance autoritaire du chef d’État turc, Recep Tayyip Erdogan.
La double histoire d’amour que vit le jeune Fazil, après la mort de son père et son brusque changement de situation, en est une très belle illustration. Écartelé entre sa passion torride pour la voluptueuse Madame Hayat beaucoup plus âgée que lui et son amour plus sage pour Sila, une jeune et jolie étudiante, Fazil hésite : d’un côté Madame Hayat qui vit avec ardeur l’instant présent et se soucie peu du futur, de l’autre Sila, avec laquelle il partage un amour profond pour la littérature et qui l’enjoint de penser à un possible avenir commun, loin de la Turquie et de la répression. 
Autour de ces trois personnages principaux gravite une brochette de personnages hétéroclites et attachants, le colocataires de Fazil, qui vont aussi peser dans son choix final.
De quel côté pencher ? Du côté de la raison et de la sécurité ou du côté de l’engagement et de l’audace ? 
Comme Fazil (et comme l’auteur) on ne peut que s’attacher profondément à Madame Hayat, personnage solaire qui nous ensorcelle et qui nous libère provisoirement de nos peurs. 
Ce roman d’une grande sensualité est un cri pour la liberté et un hymne à la littérature et à son pouvoir d’évasion. On le referme, l’estomac noué, mais riche de tant d’émotions partagées aux côtés de Fazil, passion, peur, tristesse, manque, colère…
Dans un genre très différent, ce livre m’a fait penser à J’ai couru vers le Nil, d’Alan El Aswany.

Tu confirmes les bonnes impressions. Je note, mais j'ai déjà noté tant de choses....on verra.

Comme une blessure de sabre

Nous sommes à la fin du XIXe siècle dans l'empire ottoman finissant. Nous suivons les destins de plusieurs personnages, qui incarnent les différentes facettes de la Turquie de l'époque. Hikmète Bey, élevé à Paris, fis du médecin personnel du Sultan, épouse une femme très belle, dont il va devenir éperdument amoureux. Il a du mal à supporter l'ambiance étouffante, les dénonciations, et le climat de peur dans son pays natal. Des jeunes officiers s'agitent en coulisse, écoeurés par les injustices, et souhaitant stopper la déliquescence de l'empire. Les destins individuels s'imbriquent dans l'histoire, et la forgent en même temps.

Un roman polyphonique riche et très prenant, avec de nombreux personnages, dont certains très attachants. L'auteur possède l'art du conteur d'une façon incontestable et sait maintenir l'intérêt du lecteur. Il raconte aussi l'histoire d'une façon vivante, intéressante, tout un restituant sa complexité.

Le plus à mon avis, est un ton un peu détaché, distancié, non dépourvu d'un certain humour. Même si le livre est au final assez classique, cela donne une pointe de singularité à l'ensemble. Une deuxième partie existe (L'amour aux temps des révoltes) que j'ai bien l'intention de lire pour continuer à suivre les personnages, ainsi que l'histoire de la Turquie.

Madame Hayat






Comme vous @Liseron et @Nightingale, j'ai été d'entrée sous le charme de l' histoire de Fazil, jeune étudiant devenu boursier suite au suicide de son père, qui se retrouve figurant dans une émission télévisée où il rencontre Madame Hayat. Subjugué par l'incroyable rayonnement, la désinvolture et l'irrésistible sensualité de cette femme d'âge mûr qui lui révèle la passion charnelle, il va être pris entre deux feux avec l'irruption de Sala, une camarade de fac et exacte opposée de Madame Hayat qui partage ses goûts pour la littérature et l'exhorte à quitter un pays rattrapé par la barbarie. 

Deux visions de la vie différentes au travers de  ce récit. Une plus cérébrale, attachée aux valeurs du passé, mais tournée vers l'avenir, vers un nouveau départ à l'étranger pour Sala, et celle foncièrement ancrée dans une réalité de l'instant, jouisseuse de la vie et de chaque plaisir qu'elle peut offrir au milieu du chaos de plus en plus oppressant dû à la montée de la dictature et des ratonnades quotidiennes, personnifiée par Madame Hayat.

Ahmet Altan qui a écrit ce roman alors qu'il était en prison suite au coup d'état contre Erdogan en 2016, imagine ici un havre de liberté, un espace détourné de toute contrainte, avec l'image de cette femme au charisme dévastateur qui mord la vie à pleine dents. Il nous rappelle aussi, par le biais de Sala et leurs échanges, les possibles offerts par la littérature, sa richesse.
 
Une très belle lecture qui aborde pas mal de sujets, le désir, l'amour, la confusion entre les deux, tout en situant l'ensemble dans un contexte trouble ce qui lui donne une force et une singularité particulières. J'ai vraiment  beaucoup aimé 

Contente qu’il t’ait plu aussi, j’en garde un si bon souvenir !