Philippe Berthier
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Philippe Berthier
Philippe Berthier (1941- )
Philippe Berthier est né en 1941 à Autun. Après des études locales à l’institution Saint-Lazare, puis universitaires à Lyon et Paris, il a été reçu en 1963 à l’agrégation de lettres classiques. En 1975, il a soutenu à l’université de Paris VII une thèse de doctorat consacrée à « Barbey d’Aurevilly et l’imagination ». Il a enseigné successivement aux universités de Lyon, Grenoble et à la Sorbonne Nouvelle où il est encore professeur émérite de littérature Française.
Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages portant surtout sur des écrivains du XIXe siècle, en particulier Stendhal dont il édite les œuvres romanesques complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade.
Philippe Berthier a fondé et dirige la revue L’Année stendhalienne.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Philippe Berthier
Le crocodile de Flaubert
Je connais Philippe Berthier surtout comme un spécialiste et un amoureux De Stendhal, je recommande d'ailleurs très chaudement sa biographie de l'auteur de la Chartreuse de Parme « Stendhal : Vivre, écrire, aimer ». J'ai donc été très curieuse de lire cet essai consacré à Flaubert, écrivain très important pour moi, avec ce titre énigmatique évoquant un crocodile.
Le crocodile a bien existé, Flaubert en a fait l'acquisition lors de son grand voyage d'Orient qu'il a effectué avec Maxime du Camp. Philippe Berthier fait du crocodile embaumé, « souvenir » ramené de Nubie, le symbole de l'écrivain lui-même : « Car le crocodile poussiéreux, dégradé en épave, et qui ne sait plus où il est, évidemment, c'est lui ».
C'est le goût du voyage, de l'exotique, d'un ailleurs fantasmé, d'une fuite vers quelque chose d'autre que le connu, présent chez Flaubert depuis toujours, qu'interroge Philippe Berthier. Flaubert a toujours rêvé d'un ailleurs, très vaste : « En fait, aucun pays ou presque, pourvu qu'il soit solaire et inaccessible, ne reste en dehors de la rumination exotique de Flaubert ».
Mais cet amour reste essentiellement un amour platonique. Les voyages imaginés, ressassés, mais pas forcément effectués, l'idéal du voyage ou voyage idéal plutôt que réalisé, car « Plutôt que de se confronter au désenchantement inhérent à la réalité, mieux vaut la tenir à distance, pour la créer librement aux ordres d'un désir souverain ». D'une certaine manière, imaginer, appréhender par l'esprit et les mots est ce qui est le plus riche, le plus vrai. L'écrivain domine, au détriment du voyageur, de l'homme d'action, de celui qui vit les choses.
Et puis comment éprouver l'ailleurs, comment mettre de côté tout ce qui a été écrit, ressenti, par les autres, ceux qui ont fait le voyage précédemment ? Comment se dégager du kitsch, du lieu commun, du « fantasme d'occasion » ? le voyage devient banal, à la mode, commun. Il a son vocabulaire, ses passages obligés, ses conventions. Il devient difficile à vivre en dehors de routes toutes tracées, de réactions, d'admirations déjà exprimées, recensées. Quelle est la part de l'authentique et celle de l'imitation obligée ou de la comparaison aux illustres voyageurs qui ont précédé ? Quelle est la part du dépaysement dans ces routes déjà parcourues par d'autres, de fait connues, nommées, décrites ? L'imagination seule ne permet-elle pas au fond un voyage plus véritable, plus personnel ?
Et surtout, une fois partie, comme Flaubert l'a fait, ne reste-t-on pas au final à l'endroit que l'on a quitté ? le Croisset n'est-il pas toujours présent à l'autre bout de la terre, incrusté, gravé, dans le cerveau, dans les yeux, d'une manière indélébile ? C'est à Djebel-Aboucir, aux confins de la Nubie, que d'après du Camp Flaubert aurait trouvé le nom de son héroïne emblématique, Emma Bovary. Aussi loin soit-il, ses ruminations, son univers sont toujours là, mieux peut-être que dans son cabinet de travail.
Car au final la grande aventure, le grand voyage flaubertien, c'est l'écriture, la production de la beauté, mal comprise, insaisissable, dérisoire peut-être. Comme un sacerdoce, un sacrifice inévitable. Philippe Berthier compare Flaubert à un chameau « animal méprisé, opiniâtre, dont le regard énigmatique reflète ce que Baudelaire appellera « les limbes insondés de la tristesse » ». Tristesse de s'être assigné une tâche éprouvante, démesurée, entre souffrance et jouissance, les deux liées d'une manière inextricable.
Quel grand plaisir que de lire cet essai, fin intelligent, pensé de bout en bout. Chaque mot, chaque virgule, font sens. Rien d'inutile, de vide, de décoratif. Un mélange de profondeur et de légèreté, celle d'une ironie toujours présente, mais jamais gratuite. Il ne s'agit pas de faire un bon mot pour le seul plaisir (quoique…) mais de dire l'essentiel avec esprit, par une suggestion, une comparaison, une image.
Faire toucher du doigt le complexe, l'ambigu, n'est pas obligatoirement aride ni ennuyeux : ici c'est virevoltant, stimulant, drôle, élégant. du grand art en somme. A recommander à tous les amoureux de Flaubert, ou tout simplement de la littérature.
Je connais Philippe Berthier surtout comme un spécialiste et un amoureux De Stendhal, je recommande d'ailleurs très chaudement sa biographie de l'auteur de la Chartreuse de Parme « Stendhal : Vivre, écrire, aimer ». J'ai donc été très curieuse de lire cet essai consacré à Flaubert, écrivain très important pour moi, avec ce titre énigmatique évoquant un crocodile.
Le crocodile a bien existé, Flaubert en a fait l'acquisition lors de son grand voyage d'Orient qu'il a effectué avec Maxime du Camp. Philippe Berthier fait du crocodile embaumé, « souvenir » ramené de Nubie, le symbole de l'écrivain lui-même : « Car le crocodile poussiéreux, dégradé en épave, et qui ne sait plus où il est, évidemment, c'est lui ».
C'est le goût du voyage, de l'exotique, d'un ailleurs fantasmé, d'une fuite vers quelque chose d'autre que le connu, présent chez Flaubert depuis toujours, qu'interroge Philippe Berthier. Flaubert a toujours rêvé d'un ailleurs, très vaste : « En fait, aucun pays ou presque, pourvu qu'il soit solaire et inaccessible, ne reste en dehors de la rumination exotique de Flaubert ».
Mais cet amour reste essentiellement un amour platonique. Les voyages imaginés, ressassés, mais pas forcément effectués, l'idéal du voyage ou voyage idéal plutôt que réalisé, car « Plutôt que de se confronter au désenchantement inhérent à la réalité, mieux vaut la tenir à distance, pour la créer librement aux ordres d'un désir souverain ». D'une certaine manière, imaginer, appréhender par l'esprit et les mots est ce qui est le plus riche, le plus vrai. L'écrivain domine, au détriment du voyageur, de l'homme d'action, de celui qui vit les choses.
Et puis comment éprouver l'ailleurs, comment mettre de côté tout ce qui a été écrit, ressenti, par les autres, ceux qui ont fait le voyage précédemment ? Comment se dégager du kitsch, du lieu commun, du « fantasme d'occasion » ? le voyage devient banal, à la mode, commun. Il a son vocabulaire, ses passages obligés, ses conventions. Il devient difficile à vivre en dehors de routes toutes tracées, de réactions, d'admirations déjà exprimées, recensées. Quelle est la part de l'authentique et celle de l'imitation obligée ou de la comparaison aux illustres voyageurs qui ont précédé ? Quelle est la part du dépaysement dans ces routes déjà parcourues par d'autres, de fait connues, nommées, décrites ? L'imagination seule ne permet-elle pas au fond un voyage plus véritable, plus personnel ?
Et surtout, une fois partie, comme Flaubert l'a fait, ne reste-t-on pas au final à l'endroit que l'on a quitté ? le Croisset n'est-il pas toujours présent à l'autre bout de la terre, incrusté, gravé, dans le cerveau, dans les yeux, d'une manière indélébile ? C'est à Djebel-Aboucir, aux confins de la Nubie, que d'après du Camp Flaubert aurait trouvé le nom de son héroïne emblématique, Emma Bovary. Aussi loin soit-il, ses ruminations, son univers sont toujours là, mieux peut-être que dans son cabinet de travail.
Car au final la grande aventure, le grand voyage flaubertien, c'est l'écriture, la production de la beauté, mal comprise, insaisissable, dérisoire peut-être. Comme un sacerdoce, un sacrifice inévitable. Philippe Berthier compare Flaubert à un chameau « animal méprisé, opiniâtre, dont le regard énigmatique reflète ce que Baudelaire appellera « les limbes insondés de la tristesse » ». Tristesse de s'être assigné une tâche éprouvante, démesurée, entre souffrance et jouissance, les deux liées d'une manière inextricable.
Quel grand plaisir que de lire cet essai, fin intelligent, pensé de bout en bout. Chaque mot, chaque virgule, font sens. Rien d'inutile, de vide, de décoratif. Un mélange de profondeur et de légèreté, celle d'une ironie toujours présente, mais jamais gratuite. Il ne s'agit pas de faire un bon mot pour le seul plaisir (quoique…) mais de dire l'essentiel avec esprit, par une suggestion, une comparaison, une image.
Faire toucher du doigt le complexe, l'ambigu, n'est pas obligatoirement aride ni ennuyeux : ici c'est virevoltant, stimulant, drôle, élégant. du grand art en somme. A recommander à tous les amoureux de Flaubert, ou tout simplement de la littérature.
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