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Leo Perutz

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Message par Arabella Jeu 22 Avr - 21:11

Leo Perutz (1882- 1957)



Leo Perutz Perutz10


Source :  Wikipédia


Leo Perutz, né le 2 novembre 1882 à Prague, en Autriche-Hongrie, et mort le 25 août 1957 à Bad Ischl, est un écrivain autrichien de langue allemande.

Fils aîné de Benedikt Perutz, industriel prospère dans le textile, Leo Perutz est issue d'une famille d'ascendance juive-espagnole établie depuis au moins 1730 dans la ville de Rakovník. La famille, de confession juive, s'avère essentiellement laïque et peu religieuse. Leo hésite pour ses études entre les mathématiques et la littérature, pour se lancer finalement dans la première voie. Il quitte Prague à 17 ans pour étudier à Vienne. Il découvre une formule qui porte son nom, et publie un traité de jeu de bridge fondé sur le calcul des probabilités. En octobre 1907, il est employé comme actuaire par la compagnie d'assurances italienne Assicurazioni Generali, où Franz Kafka travaille aussi à la même période pendant quelques mois.

En 1914, il est blessé sur le front Est de la Première Guerre mondiale. De retour à Vienne, il publie son premier ouvrage, La Troisième Balle, premier roman caractéristique de son style, qui fait suivre au lecteur une poursuite inexorable dans l'Amérique du Sud en cours de colonisation par les Espagnols.

Ses livres commencent à rencontrer quelque succès : Le Maître du Jugement dernier, publié à Munich en 1923, est traduit en français dès 1925, et Le Marquis de Bolibar paraît chez Albin Michel en 1930 ; c'est ce roman historique et fantastique qui le fait connaître au public français. Où roules-tu, petite pomme ?, qui paraît en 1928 sous la forme d'un roman-feuilleton dans les pages du Berliner Illustrierte Zeitung, est lu par 3 millions de lecteurs. En dépit de ses succès, Perutz est, à la fin des années 1920, presque ruiné. Il devient veuf à la naissance de son troisième enfant, et décide de se remarier.

En 1938, Perutz fuit Vienne et s'installe en Palestine mandataire, à Tel-Aviv, où il reprend son métier d'actuaire, sans rien publier jusqu'en 1953.

Mordekhaï Maisel (ou Meisl ou Maisl) lui a inspiré La Nuit sous le pont de pierre (Nachts unter der steinernen Brücke - 1953), un recueil de 14 nouvelles qui se déroulent dans la Prague du XVIIe siècle.

À partir de 1954, ce bon skieur revient en Autriche chaque année. C'est lors d'un de ces séjours à Bad Ischl, près de Salzbourg, qu'il meurt le 25 août 1957.

L'après-guerre voit une certaine désaffection pour son œuvre, mais il est bientôt tiré de l'oubli d'une part grâce à Jorge Luis Borges, qui avait préfacé trois de ses livres, d'autre part en France où le Prix Nocturne lui est attribué à titre posthume en 1962.

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Message par Arabella Jeu 22 Avr - 21:12

La neige de Saint Pierre

Publié en 1933 et aussitôt interdit pas les nazis, c'est l'avant dernier roman de Leo Perutz, auteur autrichien d'origine juive, publié de son vivant. Un jeune médecin, Georg Friedrich Amberg, se réveille mal en point dans un hôpital. Les souvenirs qu'il a des cinq dernières semaines écoulées, ainsi que de ses raisons de se retrouver en mauvais état et alité, différent sensiblement du discours qu'on lui tient à l'hôpital : renversé par une voiture, il aurait passé ce temps dans son lit, plus ou moins comateux.

Or Amberg a des souvenirs très précis des événements qui se seraient déroulés dans le village de Morwede, dans lequel il a pris ses fonctions de médecin. le village est régi par le baron von Malchin, un ami du défunt père d'Amberg. le baron a d'étranges lubies et projets : il rêve de restaurer le Saint Empire Germanique, et pour ce faire imagine de se servir de la science, et utiliser une étrange substance, qui pourrait agir sur l'esprit des hommes, et lui permettre de les manipuler. Il est aidé dans ses recherches par une jeune femme, qui a déjà croisé la route d'Amberg et dont il est amoureux. le jeune médecin assiste en tant que spectateur aux menées du baron et de sa collaboratrice, qui n'ont pas forcément les mêmes objectifs. Sceptique et refusant de s'engager, il sera toutefois aux premières loges pour suivre les faits jusqu'aux événements graves et tragiques, dont il sera finalement une des victimes. Mais c'est un tout autre discours qu'il entend à l'hôpital : tous ces événements ne seraient-ils que le résultat d'un délire ? ou certains ont-ils intérêt à cacher ce qui s'est passé à Morwede ?

Nous ne pourrons répondre avec certitude à cette dernière question, chaque lecteur est libre de choisir l'option qui lui convient le mieux, ou de se dire que l'incertitude est inévitable. L'essentiel est dans le tableau halluciné et hallucinant d'une communauté vivant d'une manière rétrograde, dans laquelle un appétit de puissance et de manipulation voit le jour, et rend toutes les atrocités possibles. le village a des allures de cauchemar, à la limite du fantastique et de l'horreur, le roman joue aussi avec des techniques de romans policiers, sans oublier la science-fiction. Mais tout cela est utilisé en permanence par Perutz avec une sorte de distanciation, de second degré. Toutes les pistes sont incertaines et ne mènent à aucune solution solide. L'étrange labyrinthe de l'esprit humain ne semble pas avoir de sortie.

L'auteur crée un univers fantasmagorique, avec ironie et maestria, mais qui en même temps pose des questions qui n'ont rien d'irréel, la manipulation des masses, la façon dont le fanatisme peut se traduire en fonction de la société dans laquelle il émerge, par exemple, sont d'une brûlante actualité, et non seulement à l'époque où le livre a été écrit.

Brillant, dérangeant, frustrant, mais aussi très jouissif et posant plein de piste de réflexion, c'est encore une grande réussite dans l'oeuvre de Leo Perutz.

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Message par kenavo Ven 23 Avr - 6:17

c'est bien de parler de lui... je n'ai pas lu celui que tu présentes mais il me reste de très bons souvenirs de mes lectures
et cela me rappelle que je voulais revenir vers lui... je renote

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Message par domreader Ven 23 Avr - 8:53

kenavo a écrit:c'est bien de parler de lui... je n'ai pas lu celui que tu présentes mais il me reste de très bons souvenirs de mes lectures
et cela me rappelle que je voulais revenir vers lui... je renote

Oui, mes souvenirs datent d'il y a longtemps déjà, mais j'en garde de très bonnes impressions, un auteur sur lequel j'ai envie de me pencher à nouveau moi aussi.

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Message par Arabella Ven 23 Avr - 8:57

Moi aussi cela m'a donné envie de revenir vers ses livres, je l'ai lu il y a vraiment très longtemps maintenant.

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Message par Liseron Ven 23 Avr - 17:45

Lu aussi il y a très longtemps et j'en ai gardé également un bon souvenir, merci pour ce fil qui nous donne envie de le relire !

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Message par Arabella Sam 1 Avr - 21:50

Le maître du Jugement dernier


C'est le cinquième roman de Perutz, publié en 1923. Je préfère prévenir les éventuels lecteurs de cette note de lecture : il est impossible de présenter le livre sans dévoiler le contenu de ce qui peut s'apparenter à un roman policier. Cela pourrait gâcher quelque peu le plaisir d'une lecture ultérieure, même si à mon sens la richesse d'interprétations que permet ce roman (comme d'autres livres de l'auteur) fait que l'exposé que je vais faire de ce que je pense avoir compris, n'a rien de définitif, et peu être discuté.

Un narrateur, le baron von Yosch nous livre le récit d'événements tragiques, dont il a été témoin et acteur, en 1909 à Vienne. Il prétend faire toute la lumière sur ce qui s'est passé. le baron se rend chez des amis pour faire de la musique, et plus précisément jouer le trio n°1 de Brahms. Il a été l'amant de la maîtresse de maison, Dina, mais cette dernière l'a quitté et a fini par épouser Eugen Bischoff, un célèbre comédien. Ce dernier est dans une mauvaise passe : sa banque vient de faire faillite, et le directeur de théâtre pense à le remplacer. Ses proches lui dissimulent au maximum la situation. Pendant que l'acteur est censé répéter une nouvelle pièce, des coups de feu éclatent, et le maître de maison est retrouvé avec le revolver en main. Tout semble indiquer un suicide, et tout accuse von Yosch de l'avoir provoqué par des révélations mal venues. Malgré la parole d'honneur qu'il donne, von Yosch semble dans une mauvaise posture. Mais l'ingénieur Solgrub, un ami de la maison, est persuadé qu'il ne s'agit pas d'un suicide mais d'un meurtre et que par conséquent von Yosch est innocent. Il va se lancer dans une enquête échevelée pour le démontrer, von Yosch se met aussi sur la piste de l'assassin. L'enquête va révéler des faits troublants et étranges.

Il semble que nous soyons dans un grand classique du roman policier : un homme accusé à tort, mais grâce à un détective plus clairvoyant que la moyenne des mortels, l'écheveau compliqué d'un meurtre est démêlé. Sauf que le détective n'est guère brillant, ses conclusions pas forcément convaincantes, les indices arrivent par hasard, et ne mènent pas très loin, et tout est de moins en moins convaincant.

J'ai eu la sensation d'avoir très vite trouvé la solution : l'analyse que fait von Yosch du scherzo du trio de Brahms est tellement délirante et éloignée de que l'on entend, qu'elle ne peut être faite que par quelqu'un dont le rapport à la réalité est plus que perturbé. Par ailleurs dans cette analyse, le baron évoque le sort d'une âme pécheresse, entraînée par Satan en enfer. Difficile de ne pas y voir l'expression d'une culpabilité dévorante. Rendu fou par son pêché, le coupable est condamné. Et le passage suggère aussi le péché : Brahms a vécu une sorte de trio amoureux avec le couple Schumann. L'histoire a en quelque sorte pris fin avec la tentative de suicide de Schumann, qui basculait dans la folie. le baron projette donc sur le trio son crime et sa culpabilité et sombre dans le délire. L'enquête censée prouver son innocence est l'ouvrage d'un fou, et toutes les incohérences et faiblesses du récit démontrent la perturbation de l'esprit de von Yosch. le récit devient une sorte de parodie de roman policer, fort drôle d'ailleurs, démontant les procédés et codes de ce genre de littérature, et comme le livre flirte avec le fantastique et le roman historique, il parodie aussi ces genres, dont Perutz est familier.

Mais Perutz est un maître dans la manipulation de son lecteur, et cette lecture ne peut épuiser le sens du livre. La descriptions délirante du scherzo de Brahms livrée à la page 20 est certainement là pour en partie égarer le lecteur. Car dans les années vingt du siècle dernier, les références à la musique et la vie de Brahms étaient très lisibles pour les lecteurs de Perutz. Ce qui condamne von Yosch n'est pas tant avoir poussé Bischoff au suicide, ce qui est à la fois impossible à prouver et pas réellement condamnable par la loi, mais de s'être parjuré, d'avoir nié l'évidence : d'être allé voir Bischoff juste avant son suicide. Félix, le frère de Dina qui est parvenu devant témoin à extorquer le serment du baron peut le menacer d'envoyer son rapport au tribunal d'honneur du régiment de von Yosch. Ce dernier n'a plus le choix qu'entre le suicide, et la honte d'une démission obligée, une mise au ban, pour avoir perdu l'honneur. Il choisit de s'enfoncer dans la folie, dans laquelle il passe son temps à réécrire l'histoire délirante dont nous lisons la dernière versions, qui est censée l'absoudre.

C'est le déni, le refus de l'aveu, de la confession que le condamne. En plus d'une mort sociale, il ne peut obtenir de rémission de son péché, de pardon, car la reconnaissance de la faute est le premier pas sur le chemin de l'expiation et d'absolution. Une âme pécheresse est emmenée en enfer, car elle refuse de se dire coupable. Dans un geste d'orgueil blasphématoire, von Yosch s'essaie dans son écrit à une (ré)création du monde. Et il chute irrémédiablement, car il n'est pas en mesure de tenir la place du démiurge.

Dans l'histoire aberrante censée le disculper, c'est au final un livre qui est le meurtrier. Comme dans la vraie vie, c'est le livre écrit par von Yosch et que nous lisons, qui le détruit, le mène à sa perte définitive.

Brillantissime et fascinant.

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Message par Nightingale Lun 3 Avr - 18:43

Intriguant, ce que tu en dis.
J'ai un livre de cet auteur (Le cavalier suédois), il faudra peut-être que je tente... Wink

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Message par Arabella Lun 3 Avr - 20:43

Pas encore lu Le cavalier suédois, mais il paraît que c'est l'un des meilleurs.

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Message par Aeriale Mar 4 Avr - 13:15

Ça paraît quand même bien complexe cette histoire, pas facile d’approche en tout cas.

Déjà s’y connaître en musique classique pour repérer les anomalies dans la description du morceau musical de Brahms ! Tu crois que je pourrais tenter?
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Message par Arabella Mar 4 Avr - 13:29

Oui, parce que les livres de Perutz se situent à plusieurs niveaux de lecture. On peut les lire comme des romans policiers, fantastiques, historiques. C'est très bien mené, très plaisant, très efficace. Et derrière on peut aussi avoir plein d'autres interprétations, chacun avec ses références. Mais je crois qu'il peut convenir pratiquement à n'importe quel lecteur.

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Message par Aeriale Mer 5 Avr - 9:02

Ah merci, ça me motive bien ce que tu me dis là...

Du coup je l'ai noté et tenterai bien un jour! J'ai relu le fil et La neige de Saint Pierre a l'air aussi très intrigant
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Message par Arabella Sam 15 Avr - 21:39

La troisième balle

C'est le premier roman publié par Leo Perutz en 1915, pendant la première guerre mondiale. le livre rencontre un grand succès qui permet à son auteur de se consacrer à l'écriture.

Nous sommes en 1547, la bataille de Mühlberg a vu la victoire de Charles Quint sur les protestants. Un cavalier allemand, appelé Prunelle-de-verre combat dans l'armée impériale. Il semble avoir perdu ses souvenirs. Un Espagnol va lui conter son histoire, qui s'est déroulée dans le Nouveau Monde, pendant la conquête du Mexique par Cortez. Une histoire de bruit et de fureur, lorsqu'il a tenté par tous les moyens de s'opposer à l'armée espagnole, avec une poignée d'Allemands fuyant l'Europe en guerre, et s'opposant à l'Empereur et à l'Église catholique. Et également à son ennemi personnel, le duc de Mendoza, cruel et dépravé. Grumbach, le rhingrave rebelle, est prêt à tout pour faire échec à l'Armada espagnole, y compris à faire alliance avec le diable. Mais ce dernier a plus d'un tour dans son sac, et les trois balles que Grumbach obtient, pourraient se retourner contre lui plutôt que de lui permettre de vaincre ses ennemis…

C'est le premier roman de Perutz et il ferra sans doute mieux par la suite, il y a encore des éléments un peu confus dans celui-ci, le scénario n'est pas aussi brillamment tenu que dans ses meilleures réussites. Mais les thématiques, les obsessions sont déjà là, bien présentes, sans oublier l'art du conteur, ainsi qu'une manière magistrale de s'approprier les codes de la littérature de genre, ici le roman historique et fantastique, pour les subvertir, faire un pas de côté, et produire un texte tout à fait original.

Grumbach, comme tous les sujets perutziens, est un sujet inaccessible à lui-même, au point que c'est un autre qui lui raconte sa propre histoire, qu'il a oubliée, qu'il a voulue oublier sans doute. Une histoire tragique dans le sens où elle est annoncée d'avance, et inévitable, malgré les nobles aspirations du personnage. Mais il se trompe sur lui-même, sur sa capacité à dominer les événements, à les maîtriser et à se maîtriser lui-même. C'est son obstination à vouloir sauver le monde qui participe à sa destruction, et provoque le chaos. Son échec est programmé, la prédestination fatale est en quelque sorte incluse en lui-même, et non pas dans une divinité extérieure et maléfique. C'est d'une certaine manière la malédiction originelle de la nature humaine. Vouloir jouer le Créateur et faire plier le réel ne peut que mener à l'échec, le réel s'accomplit malgré le héros, qui n'est pas en mesure de s'opposer à l'Histoire, au destin.

C'est très sombre, la violence et les destructions de la guerre sont terribles, le désenchantement devant la folie des hommes s'exprime très fortement, l'ambiance du récit est oppressante. C'est déjà une très grande réussite, même si l'auteur va encore perfectionner son art dans ses romans suivants.

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Message par Arabella Lun 24 Avr - 23:10

La nuit sous un pont de pierre

Le dernier roman publié du vivant de l'auteur, il a connu une longue gestation. Commencé en 1924 en Autriche, il n'a été terminé qu'en 1951, et publié en 1953. Il faut noter qu'après son départ de l'Autriche pour la Palestine en 1928, après l'Anschluss, Perutz a arrêté l'écriture, et il est revenu à son métier d'origine, celui d'actuaire. Après la fin de la seconde guerre, il partageait son temps entre le proche Orient et Vienne, où il n'était plus toutefois qu'un écrivain bien oublié.

La nuit sous un pont de pierre se déroule à Prague, la ville où est né Perutz, ville qui faisait encore partie de l'empire austro-hongrois qui vivait ses dernières heures. C'est un livre à la structure savamment élaborée : quatorze récits, suivis d'un épilogue, récits qui se répondent, dans lesquels nous retrouvons des personnages qui reviennent ; si certains paraissent pouvoir se suffire à eux-mêmes, il y a néanmoins, à chaque fois, au moins des éléments, des indices, indispensables au lecteur pour saisir la trame principale. Les deux figures essentielles sont l'empereur Rodolphe II et Mordechai Meisl, un riche juif. Les deux lieux centraux du récit sont le château où demeure l'empereur et le ghetto juif où vit Meisl. le roman se déroule sur cinquante ans entre 1571 et 1621, et l'épilogue vers 1900. Les récits ne suivent pas un ordre chronologique, il y a des retours en arrière, des sauts importants dans le futur. Et certains récits ne peuvent pas être datés avec précision. C'est donc une sorte de puzzle que le lecteur doit reconstituer, en essayant de trouver à chaque fois les éléments signifiants, essentiels. En dehors d'un aspect évident de roman historique ( l'effondrement du royaume de Bohême), le livre présente aussi des éléments fantastiques, surnaturels, en particulier par l'entremise du grand rabbin Loew.

Il y a bien sûr le charme de Prague, une Prague en partie disparue, mais il ne faut pas penser que Leo Perutz dans ce livre à la forme atypique, qu'il a mis si longtemps à écrire, et qui est le dernier paru de son vivant, s'abandonne aux douceurs de la nostalgie et du souvenir. Ses thématiques et sa vision du monde n'ont pas changées. Les personnages sont aliénés par le passé dont ils n'arrivent pas à se libérer, ce qui bloque leur présent : Jakob Meisl, le dernier descendant de la famille de Mordechai n'a pas fait le deuil de la fortune disparue de son lointain parent : il collecte les souvenirs de cette époque en espérant rentrer en possession de l'or envolé plutôt que de vivre sa vie. Les personnages historiques, tels qu'ils nous apparaissent, sont impuissants et ne peuvent influer sur le cours de l'histoire. Même l'empereur. le désastre final, le déclenchement de la guerre de Trente Ans ne signe pas l'échec d'un grand dessein, mais est le résultat d'une vacuité politique, d'une désertion du pouvoir lié à la poursuites d'intérêts individuels, de chaque protagoniste, chacun à son niveau. Chacun y participe à sa manière, sans le vouloir réellement, par aveuglement et par un soucis de son intérêt individuel, à très court terme. L'histoire ne progresse pas, elle piétine, tourne en rond, au gré de petits appétits médiocres des hommes. Les mêmes malheurs sont donc toujours à redouter de nouveau. Une fatalité est inscrite dans la nature humaine, et provoque un tragique dans des existences sans grandeur.

Cela semble bien sombre, et c'est pourtant un livre magnifique, touchant dans ses personnages, troublant dans ce qu'il raconte, qui ne manque pas d'humour et de second degré, merveilleusement écrit et construit. Mais d'une redoutable lucidité, sans les douces consolations fallacieuses d'une rédemption, et surtout d'une possibilités pour les hommes d'arriver à maîtriser leur destin.

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Message par eXPie Mar 25 Avr - 20:57

J'avais commencé par Le Cavalier Suédois, que j'avais énormément apprécié. Par contre, j'ai été déçu par Le Marquis de Bolibar, qui est une belle mécanique, mais qui (pour moi) reste une mécanique (il y a certes de l'originalité à un certain moment, mais tout ce qui suit étant annoncé, l'intérêt réside "seulement" dans le fait de se demander comment ça va se passer...)
J'ai totalement oublié Où roules-tu, petite pomme, c'est curieux. Pourtant je l'avais quand même apprécié, même si Le Cavalier m'a paru indétrônable.
Le Judas de Léonard (posthume) est pas mal du tout, ne serait-ce que par le thème. Mais je me dis que, peut-être, avoir commencé par le meilleur livre d'un auteur, ça n'est pas forcément bien.
Je note La Nuit sous un pont de pierre, notamment. Et puis Le Maître du Jugement dernier. Et puis La neige de Saint-Pierre.
Mais comme de toute façon je pensais lire à peu près tout de Perutz... mais pas trop vite, sinon il n'en restera plus à lire...
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