Abdulrazak Gurnah
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domreader
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Re: Abdulrazak Gurnah
Enfin, ce n'est pas vraiment une nouveauté, une réédition d'un titre épuisé, mais trouvable en bibliothèque.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4642
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Abdulrazak Gurnah
Paradis
Nous sommes en Tanzanie, à une époque qui n’est pas explicitée. Quelques éléments peuvent nous faire penser à la fin du XIXe ou le tout début du XXe siècle. C’est une société complexe, où des populations arabes et indiennes sont venus se mêler aux populations africaines. Le personnage principal, Yusuf, est pris à 12 ans comme une sorte d’esclave, par celui qu’il appelle oncle Aziz, à qui son père doit de l’argent qu’il ne peut rembourser. Aziz est un marchand aisé, pratiquant le commerce caravanier à l’intérieur du continent. Il amènera Yusuf qui aura grandi, dans l’une de ses expéditions, qui ne se passera pas comme prévue. Les échanges commerciaux deviennent en effet de plus en plus difficiles, en particulier à cause de la colonisation allemande en train de s’étendre, et qui secoue les équilibres entre les différentes populations, et les pratiques séculières.
C’est un étrange texte, dans lequel il y a de nombreuses références et sous-textes. Par exemple,certains éléments de la vie de Yusuf peuvent faire penser à son presque homonyme, le Joseph biblique. Par ailleurs Abdulrazak Gurnah aurait largement puisé pour écrire son roman, dans des récits oraux en swahili, recueillis par Carl Velten, un Allemand. L’un raconte le voyage d’une caravane en 1891 vers l’intérieur du pays, et l’autre un voyage effectué en Russie et en Sibérie par un Comorien d’origine en compagnie d’un Allemand, le Dr Bumiller. Le premier récit est très largement repris pour narrer le voyage de Yusuf, et le deuxième est raconté par un personnage du roman.
Abdulrazak Gurnah agrège tous ces éléments pour en faire un récit cohérent, un roman d’apprentissage, de découverte et de désenchantement. Le monde décrit par l’auteur a ses grandes beautés, Yusuf rencontre de personnages attachants, mais il a aussi ses noirceurs, ses cruautés, ses violences. Aziz malgré ses beaux dehors, et son discours empreint de dignité, apparaît de plus en plus comme un personnage trouble et malhonnête. L’auteur suggère la condition très difficile des femmes, questionne la religion et son rôle. Sans oublier les relations compliquées entre les communautés, leurs mutuelles haines et mépris. C’est un Paradis perverti, dans lequel le mal rôde, malgré parfois de belles apparences. C’est aussi un monde en sursis, qui vit ses dernières heures sous cette forme.
C’est incontestablement encore une très belle réussite de Abdulrazak Gurnah, qui puise dans l’histoire de son pays des récits à la fois ancrés dans une réalité très précise, et universels.
Nous sommes en Tanzanie, à une époque qui n’est pas explicitée. Quelques éléments peuvent nous faire penser à la fin du XIXe ou le tout début du XXe siècle. C’est une société complexe, où des populations arabes et indiennes sont venus se mêler aux populations africaines. Le personnage principal, Yusuf, est pris à 12 ans comme une sorte d’esclave, par celui qu’il appelle oncle Aziz, à qui son père doit de l’argent qu’il ne peut rembourser. Aziz est un marchand aisé, pratiquant le commerce caravanier à l’intérieur du continent. Il amènera Yusuf qui aura grandi, dans l’une de ses expéditions, qui ne se passera pas comme prévue. Les échanges commerciaux deviennent en effet de plus en plus difficiles, en particulier à cause de la colonisation allemande en train de s’étendre, et qui secoue les équilibres entre les différentes populations, et les pratiques séculières.
C’est un étrange texte, dans lequel il y a de nombreuses références et sous-textes. Par exemple,certains éléments de la vie de Yusuf peuvent faire penser à son presque homonyme, le Joseph biblique. Par ailleurs Abdulrazak Gurnah aurait largement puisé pour écrire son roman, dans des récits oraux en swahili, recueillis par Carl Velten, un Allemand. L’un raconte le voyage d’une caravane en 1891 vers l’intérieur du pays, et l’autre un voyage effectué en Russie et en Sibérie par un Comorien d’origine en compagnie d’un Allemand, le Dr Bumiller. Le premier récit est très largement repris pour narrer le voyage de Yusuf, et le deuxième est raconté par un personnage du roman.
Abdulrazak Gurnah agrège tous ces éléments pour en faire un récit cohérent, un roman d’apprentissage, de découverte et de désenchantement. Le monde décrit par l’auteur a ses grandes beautés, Yusuf rencontre de personnages attachants, mais il a aussi ses noirceurs, ses cruautés, ses violences. Aziz malgré ses beaux dehors, et son discours empreint de dignité, apparaît de plus en plus comme un personnage trouble et malhonnête. L’auteur suggère la condition très difficile des femmes, questionne la religion et son rôle. Sans oublier les relations compliquées entre les communautés, leurs mutuelles haines et mépris. C’est un Paradis perverti, dans lequel le mal rôde, malgré parfois de belles apparences. C’est aussi un monde en sursis, qui vit ses dernières heures sous cette forme.
C’est incontestablement encore une très belle réussite de Abdulrazak Gurnah, qui puise dans l’histoire de son pays des récits à la fois ancrés dans une réalité très précise, et universels.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4642
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Abdulrazak Gurnah
Ah ! Tu me fais penser à nouveau qu'il faut que je me penche sur les livres de cet auteur qui a l'air vraiment très intéressant.
Il y a tant de livres à découvrir....
Il y a tant de livres à découvrir....
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'La littérature est une maladie textuellement transmissible, que l'on contracte en général pendant l'enfance'. Jane Yolen.
domreader- Messages : 3090
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Ile de France
Re: Abdulrazak Gurnah
Oui, c'est bien de nous rappeler cet auteur que je n'ai toujours pas tenté!
Aeriale- Messages : 10430
Date d'inscription : 30/11/2016
Re: Abdulrazak Gurnah
Adieu Zanzibar
Comme dans ses autres romans que j'ai lu, Abdulrazak Gurnah nous amène en Afrique de l'Est, et à Zanzibar, et nous propose un récit choral, sur plusieurs générations, qui à la fois évoque des destins individuels, et l'histoire de la région, les destins individuels illustrant d'une manière plus large ce qu'a pu vivre l'ensemble de la population.
Le premier récit débute à la toute fin du XIXe siècle. Hassanali, un commerçant qui fait office de muezzin, découvre un homme en très mauvais état devant la mosquée. Il le fait ramener chez et essaie de lui faire dispenser les premiers soins. Mais l'homme est Anglais, et très vite il sera récupéré par l'administrateur colonial. Mais le contact avec la famille d'Hassanali a été établi, et Martin Pearce, l'Anglais en question, va tomber sous le charme de la soeur de Hassanali, Rehana. Nous apprendrons la suite de leur histoire dans le récit suivant, celui qui nous décrit une nouvelle histoire de passion transgressive, celle d'Amin. Il s'éprend d'une femme un peu plus âgée, qui plus est divorcée, et nous l'apprendrons par la suite, petite fille de Rehana et Martin Pearce. Ses parents, enseignants tous les deux, le contraignent à mettre fin à cette relation « honteuse », et sans s'en rendre compte le poussent au désespoir. Enfin, nous suivons Rashid, le frère d'Amin, qui brillant élève se voit offrir la possibilité de suivre des études en Angleterre.
Entre le monde colonial, basé sur un négation de la dignité des indigènes, à l'indépendance qui exclut tout une partie de la population sur des critères ethniques (indiens, arabes, ou supposés tels), en passant par les routes de l'exil, le roman dit la quête impossible d'une identité qui ne soit pas cause de séparation d'avec les autres, de mépris et de violence. Mais Abdulrazak Gurnah est un immense conteur, et son récit, malgré l'ironie et une forme de désespoir, se teint de mille couleurs chatoyantes, nous dépeint des personnages attachants et sensibles. C'est donc un beau voyage, même si la tonalité du récit est au final sombre. le titre original en anglais du livre est Desertion, et cela résume bien mieux le roman. Rehana abandonne sa famille, les règles de sa communauté pour vivre une histoire d'amour qu'elle ne peut vivre autrement. Amin abandonne la femme qu'il aime et Rashid abandonne son pays. Ils n'ont d'une certaine manière pas le choix, mais ces abandons sont mutilants, douloureux. Et font de tous ces personnages des étrangers, même s'ils continuent à vivre dans leur pays. Des étrangers pour ceux qui ne les comprennent pas, les condamnent, mais aussi des étrangers pour eux-même, obligés de laisser une partie d'eux-même.
C'est sensible et questionnant.
Comme dans ses autres romans que j'ai lu, Abdulrazak Gurnah nous amène en Afrique de l'Est, et à Zanzibar, et nous propose un récit choral, sur plusieurs générations, qui à la fois évoque des destins individuels, et l'histoire de la région, les destins individuels illustrant d'une manière plus large ce qu'a pu vivre l'ensemble de la population.
Le premier récit débute à la toute fin du XIXe siècle. Hassanali, un commerçant qui fait office de muezzin, découvre un homme en très mauvais état devant la mosquée. Il le fait ramener chez et essaie de lui faire dispenser les premiers soins. Mais l'homme est Anglais, et très vite il sera récupéré par l'administrateur colonial. Mais le contact avec la famille d'Hassanali a été établi, et Martin Pearce, l'Anglais en question, va tomber sous le charme de la soeur de Hassanali, Rehana. Nous apprendrons la suite de leur histoire dans le récit suivant, celui qui nous décrit une nouvelle histoire de passion transgressive, celle d'Amin. Il s'éprend d'une femme un peu plus âgée, qui plus est divorcée, et nous l'apprendrons par la suite, petite fille de Rehana et Martin Pearce. Ses parents, enseignants tous les deux, le contraignent à mettre fin à cette relation « honteuse », et sans s'en rendre compte le poussent au désespoir. Enfin, nous suivons Rashid, le frère d'Amin, qui brillant élève se voit offrir la possibilité de suivre des études en Angleterre.
Entre le monde colonial, basé sur un négation de la dignité des indigènes, à l'indépendance qui exclut tout une partie de la population sur des critères ethniques (indiens, arabes, ou supposés tels), en passant par les routes de l'exil, le roman dit la quête impossible d'une identité qui ne soit pas cause de séparation d'avec les autres, de mépris et de violence. Mais Abdulrazak Gurnah est un immense conteur, et son récit, malgré l'ironie et une forme de désespoir, se teint de mille couleurs chatoyantes, nous dépeint des personnages attachants et sensibles. C'est donc un beau voyage, même si la tonalité du récit est au final sombre. le titre original en anglais du livre est Desertion, et cela résume bien mieux le roman. Rehana abandonne sa famille, les règles de sa communauté pour vivre une histoire d'amour qu'elle ne peut vivre autrement. Amin abandonne la femme qu'il aime et Rashid abandonne son pays. Ils n'ont d'une certaine manière pas le choix, mais ces abandons sont mutilants, douloureux. Et font de tous ces personnages des étrangers, même s'ils continuent à vivre dans leur pays. Des étrangers pour ceux qui ne les comprennent pas, les condamnent, mais aussi des étrangers pour eux-même, obligés de laisser une partie d'eux-même.
C'est sensible et questionnant.
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Arabella- Messages : 4642
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