Sebastian Barry

-Au bon vieux temps de Dieu-



Tom Kettle, un flic récemment retraité, s'est retiré dans un petit logement annexe d'un manoir qu'il loue à son propriétaire. Cet homme usé et inconsolable depuis la disparition de sa femme June, puis de ses deux enfants, vit en solitaire, rongé par ses souvenirs, jusqu'au jour où deux inspecteurs viennent le trouver pour lui demander son aide sur une ancienne affaire d'abus sexuels. Contraint de replonger dans un passé traumatisant, il va devoir se confronter à ses vieux démons, l'esprit tiraillé par les résurgences de sa mémoire défaillante. 

On entre d'emblée dans les pensées de Tom, ses doutes, ses regrets, ses égarements. L'auteur restitue par à coups le fil de l'histoire et le lecteur, lui, tente de reconstruire le puzzle à partir de ces bribes de souvenirs, eux mêmes hachés, fluctuants, suivant le flux de conscience de Tom, ne sachant plus où se trouve le réel et l'imaginaire. 

Toute la maitrise et la puissance de Sébastian Barry se mesure ici, dans cette faculté incroyable à nous tenir en haleine malgré l'imbroglio apparent. Déni, remords et désir de vengeance, tout se mélange. J'ai été submergée moi aussi par cette vague de pensées qui se chevauchent, s'entremêlent et au travers lesquelles on veut comprendre. 

Tout va crescendo jusqu'au dénouement qui nous laisse sur une image magnifique, quasi surréaliste. Un roman puissant, au style déstabilisant, non dépourvu d'humour (certains passages, lorsqu'il se parle à lui même, m'ont vraiment fait rire) nous entrainant avec force dans la lutte intérieure de Tom mû par l'amour sans bornes qu'il voue à June. Encore un roman à ne pas louper, sur un thème très sombre, mais qui reste lumineux grâce à la personnalité très attachante du personnage central. Et quelle écriture!

J'aime bien Sebastien Barry, ce qu il écrit est un peu inégal, du moins pour les romans que j'ai lus, mais dans l'ensemble c est un bon auteur. Les irlandais nous donnent de bons écrivains. Je note celui-ci pour plus tard, tu as l'air très enthousiaste.

Oui c’est assez surprenant au départ, on suit les pensées du personnage sans discerner le vrai du fantasmé, mais si on accroche, c’est vraiment addictif. Le seul petit défaut est qu’il y a profusion de traumatismes parmi les personnages, et pas mal de disparus dans cette affaire. Mais bon… cela n’a pas non plus entravé  mon plaisir de lecture ;-)

Un auteur talentueux, comme tu dis Dom, j’étais même surprise qu’il n’ait pas encore son fil. J’avais lu de lui Du côté de chez Canaan, je vais rechercher mon commentaire!

Je ne connais pas du tout, je le note !

Liseron a écrit:Je ne connais pas du tout, je le note !

Oui, un auteur à découvrir, un peu oublié sur ce forum mais qu'on avait apprécié sur l'ancien, et dont @Domreader nous avait aussi parlé. 

Je recopie ici mes impressions sur Du côté de chez Canaan (Février 2013)

Obligée autrefois de fuir l’Irlande et les siens avec son fiancé pour de mystérieuses raisons, Lilly Bere, à quatre-vingt-neuf ans, revit le chemin parcouru depuis son arrivée dans le Nouveau Monde – le «côté de Canaan» – au rythme des hommes de sa vie. D’une traversée clandestine à leur installation précaire à Chicago, le jeune couple n’aspire qu’à une vie normale. Mais c’est sans compter avec la menace sourde qui pèse sur eux, et qui va pousser Lilly, désormais seule au monde, à s’enfuir à Cleveland. Devenue employée de maison grâce à son amie Cassie, elle y est témoin des injustices et du racisme de la société américaine. Quand elle rencontre le séduisant et énigmatique Joe, elle croit enfin toucher le bonheur du doigt – jusqu’à une explosion pendant laquelle Joe disparaît… Ce n'est là qu'un des nombreux mystères de la vie de Lilly, racontée comme un thriller, et imprégnée d’une infinie douceur.

4eme de couverture


Une construction mêlant passé et présent qui m'a tenue en éveil. J'ai aimé suivre Lilly, sa ténacité, sa grâce et sa manière généreuse d'aborder le monde, à la fois un peu naïve et malgré tout intuitive. Courageuse mais trop souvent victime de ce destin implacable qui ne lui apporte que peu de lumière, Lilly s'accroche et tient la barre, mue par une force impressionnante, d'autant que l'auteur nous livre très peu de ses tourments internes.

On pourrait se dire que c'est même trop, tous ces malheurs qui s'enchaînent, et toujours la guerre en fond d'écran qui broie des vies avec une régularité désarmante. Il y a bien un moment où on s'en étonne, mais j'ai lu quelque part que Sebastian Barry s'était fortement inspiré de la vie d'une de ses grandes tantes. Alors oui, ce genre de destinée est possible, et surtout elle nous est narrée de façon assez subtile pour ne pas y trouver de temps morts.

Des personnages attachants, une écriture grave sans être pesante, et quelques envolées poétiques qui aèrent le récit. Un joli roman qui a le mérite d'englober une grande partie de l'histoire de l'Irlande et de ses immigrants tout en évitant les poncifs!