Rentrée littéraire
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Rentrée littéraire
Dernière édition par Queenie le Ven 14 Juin - 8:35, édité 1 fois
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Et, du monde indistinct des rêves, là où se terrent les secrets mystiques, une réponse surgit.
Queenie- Messages : 7151
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Re: Rentrée littéraire
L'hisoire de mes dents, Valeria Luiselli
(ed. L'olivier - 17.08.17)
L'histoire de Grandroute, autoproclamé le meilleur commissaire-priseur du monde, au talent dévoilé de pouvoir imiter Janis Joplin quand il est saoul, collectionneur compulsif de tout et n'importe quoi (il espère un jour mettre sa collection hétéroclite aux enchères) et autres talents farfelus.
D'abord gardien dans une usine de jus de fruits, dont les bénéfices servaient à financer la collection d'art du continent, il devient après un concours de circonstance Manager Extraordinaire en Cas de Crise, puis sa femme Flaca, le persuade de se lancer dans une carrière de comédien (qu'elle finance)... Elle finit par le laisser tomber, et le quitte avec leur enfant.
De fil en aiguille, Grandroute deviendra commissaire priseur...
Première partie jouissive, rocambolesque, au style vif, drôle, burlesque mais pas trop.
On suit Grandroute de petits bonds en grands sauts, on rit de situations cocasses et par ce style pétillant de l'auteur.
Un régal, jusqu'à la moitié du roman.
Grand moment où Grandroute met sa collection de dents en vente (les vendant chacune en faisant croire que l'une appartient à Platon, l'autre à Borges, celle-ci à Montaigne, et celle-la à Virginia Woolf) : passage truculent où Luiselli-Grandroute fait exploser sa verve hyperbolique en description de lots et de portraits des propriétaires à sourire toutes dents dehors (sisi).
On voit à quel point un objet n'a de valeur que celle qu'on lui donne.
Après... ça prend une tournure étrange. Plus grave, plus étrange, plus glauque. Je me sentais légèrement mal à l'aise, à ne pas tout cerner tout de suite, entre la vérité et le mensonge, entre la situation horrible et le grand guignol.
Petit à petit le lecteur sort de la folle hystérie menée tambour battant par l'auteur, et a comme l'impression d'être tout englué dans une mélasse nauséabonde. Et obscure.
L'effet est, je trouve, un peu raté.
Ajoutant qu'il y a ensuite des bouts du livres (suite de maximes de cookies fortune par exemple) et une dernière vente bien moins drôle (répétitive et vraiment complètement absurde) qui plombe le rythme.
Il n'est pas évident d'ajouter de la gravité dans un style vraiment foufou, et il y a un moment où Luiselli s'y perd. Et moi avec.
Dommage, c'était vraiment très bon, les 3/4 du bouquin.
Cela dit, il y a quelque chose dans son style, sa manière de raconter l'histoire, de déplacer le lecteur, très intéressante. (Et l'auteur est charmante tout plein !)
J'aurais cru à un premier livre, vu la fragilité du style parfois, et cette espèce d'embrouillamini, mais non. Elle a déjà un livre chez Actes Sud (et d'autres non traduits).
Un petit extrait ?
Je lui ai expliqué que ce que je voulais dire c'est que je pourrais raconter des histoires dont le degré de déviation par rapport à la section conique des objets relatifs serait supérieur à zéro. En d'autres termes, comme le grand Quintilien l'avait formulé jadis, je pouvais rétablir la valeur d'un objet par le truchement d'un "élégant dépassement de la vérité". Cela signifiait que les histoires que je raconterais à propos des lots mis en vente seraient toutes basées sur des faits éventuellement exagérés ou, pour exprimer les choses autrement, présentés sous un éclairage plus favorable.
Un petit exemple de son style hyperbolique de commissaire-priseur
Une seule dent ayant appartenu à M. Rousseau existe encore de nos jours, mais quelle dent ! Cet homme adorable, infâme, avait des traits aristocratiques dans lesquels la moindre trace d'expression faciales était réprimée par une conscience vigilante, tyrannique. Il avait des yeux expressifs et mobiles, mais son regard n'était pas autoritaire ; malgré son intelligence indéniable, son sens de l'humour était infantile. Il croyait avec ferveur en la bonté humaine, à commencer par la sienne. Ce gentilhomme portait des épaulettes, car cette partie de son anatomie était plutôt frêle. Ce déficit était toutefois compensé par une mâchoire virile - large, carrée, avec une discrète fossette au menton - à l'intérieur de laquelle se trouvaient les dents à jamais invisibles au monde. Elles étaient si laides qu'il ne les exhibait guère, pas même en privé. Lui-même était conscient de l'épouvantable monstruosité de ses dents. Il était un lecteur avide de Plutarque, dont il avait appris quelques vertus et moutl vices. Dans Vies parallèles des hommes illustres, Plutarque écrit que la courtisane Flora ne quittait jamais son amant sans s'assurer qu'il ait inscrit sur ses lèvres l'empreinte de ses dents. Après avoir lu cela, Jean-Jacques acquit lui aussi l'habitude de demander à ses maîtresses de le mordre avant de s'en aller. Mais pas une fois il ne mordit sa maîtresse en retour car, comme il le disait, ses dents étaient "épouvantables". Il n'exagérait pas.
Le fait qu'une seule dent de Rousseau ait été conservée n'est pas dû à ses pratiques hygiéniques, qui étaient celles d'un honnête homme de l'époque, mais à sa malchance. M. Rousseau a passé une bonne partie de sa vie à marcher. Le randonneur bon à rien marchait comme si le bien-être de l'humanité dépendait de ses pas. Un jour qu'il était sorti se promener, il fut renversé par un chien. Apparemment, l'animal s'approcha de lui à grande vitesse et s'emmêla un instant dans ses jambes ; notre homme infâme alla voltiger dans le fossé qui bordait la route et en perdit une, sans doute celle que nous avons ici aujourd'hui. Elle est si horrible qu'elle mérite un monument. Celle-ci en particulier est comme un escalier en colimaçon montant jusqu'à une lucarne recouverte de plaque dentaire. Qui ouvrira les enchères pour cette unique dent entartrée de Rousseau ?
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Queenie- Messages : 7151
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Re: Rentrée littéraire
Îles flottantes, Jean-Luc Cattacin, ed. Phébus
Un été de vacances, sur une île.
Un adolescent va connaître plusieurs bouleversements. Un été où doucement il quitte l'enfance et l'innocence.
D'abord il découvre sur un étal de brocante une tablette de bois gravée de signes étranges, qui viendrait de l'Île de Pâques. Intrigué, comme hypnotisé, obsédé, il va se rendre à la bibliothèque du coin. Et rencontrer Elizabeth, la bibliothécaire spécialiste de cette île mystérieuse et surtout de cette langue incompréhensible. Elizabeth qui remue en lui des émotions troublantes.
Puis, il y a Ficelle, son pote de toujours, qui le rejoint pour quelques jours. Ficelle, le frondeur, l'espiègle, le rebelle. Mais, Ficelle, depuis l'été dernier a changé. De petits joints en passant, il est passé aux drogues plus dures. Qui passe doucement vers la petite délinquance.
C'est un de ces livres roman d'apprentissage et quête d'identité propre à cet état de l'adolescence.
La langue de Jean-Luc Cattacin a un rythme étrange, irrégulier, comme soumise aux évènements. Comme des vagues. Comme le vent qui se soulève, intense, et s'apaise soudainement.
Il y a des passages lumineux, très beaux. Surtout ceux où l'adolescent est complètement tourneboulé par les sentiments et les sensations que réveille en lui la jolie bibliothécaire Elizabeth.
D'autres moments se lisent plus tranquillement, dans un petit ronron de choses auxquelles on s'attend.
Mais plus le livre avance, plus le livre est intense et tourbillonnant.
Rajoutant à ça tout le mythe étrange de l'île de Pâques, de cette langue incomprise, de l'intrigue, du presque fantastique de cette population disparue.
Tous ses personnages comme des îles flottantes, s'entrechoquant parfois, voguant côte à côte, ou s'éloignant dans le lointain.
Un joli récit.
Original par sa langue - mais aussi intrigant par son irrégularité.
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Queenie- Messages : 7151
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Re: Rentrée littéraire
Merci pour ces présentations en avant-première!
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“With freedom, books, flowers, and the moon, who could not be happy?” Oscar Wilde
Merlette- Messages : 2334
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Re: Rentrée littéraire
J'avoue ne jamais trop suivre la rentrée littéraire... mais ce fil va me plaire, je le sens ! Merci beaucoup Queenie pour cette initiative
Celui de Valeria Luiselli me tente bien.
Celui de Valeria Luiselli me tente bien.
ekivhoc- Messages : 106
Date d'inscription : 19/03/2017
Re: Rentrée littéraire
Moi aussi, je ne m'intéressais pas trop aux rentrées littéraires...mais il y a des gens ici qui donnent des envies.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4815
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Re: Rentrée littéraire
La légende des montagnes qui naviguent / Paolo Rumiz
Paolo Rumiz s’intéresse dans ce voyage aux montagnes. Les Alpes tout d’abord, dont il cherche le début, quelque part en Croatie, mais personne ne semble savoir où ces fichues montagnes commencent. Il traverse ensuite plusieurs pays, avec le fil rouge de la chaîne montagneuse, des endroits secrets, le moins fréquentés possibles, qui ont gardé quelque chose d’une rudesse, d’un isolement d’origine, même si cela devient de plus en plus une gageure. L’Italie, la Suisse, un petit crochet par la France...le tout à une allure lente, pour avoir le temps de voir, de faire des rencontres.
Puis un deuxième périple, dans les Apennins, pour essayer de retrouver une Italie loin des circuits touristiques, dans un véhicule qui prenne le temps et qui éveille des souvenirs et de la sympathie, une voiture des années 50, une Topolino (sur les photos, cela ressemble un tout petit peu à une 2CV). Une voiture qui va forcément connaître quelques ennuis mécaniques, qui n’est pas étanche, ce qui oblige à des arrêts lorsqu’il pleut trop fort, qui bien sûr n’est pas climatisée. La conduire nécessite une dépense physique non négligeable. Le voyage peut être une aventure de chaque instant.
Paolo Rumiz fait dans son voyage un inventaire de façons de vivre, de cultures en train de disparaître ou qui ont déjà disparues. De villages qui se vident, de régions qui se meurent. Une Italie qui cède de plus en plus aux sirènes de la mondialisation, en sacrifiant toutes les spécificités, toutes les habitudes séculaires, tout ce qui faisait son charme en somme. Le récit de Paolo Rumiz est habité par la nostalgie de ce qui a été, ce qui s’est construit pendant des siècles, des lieux habités d’histoire et de souvenirs, qui disparaissent, s’effacent en quelques années. Un désir d’amnésie semble pousser désormais ses concitoyens dans une fuite en avant.
Un beau voyage, que le lecteur est heureux de pouvoir faire, avec pour guide un passionné, un connaisseur, qui nous montre des endroits dans lesquels on arriverait sans doute pas tout seul. Qui donne envie de partir sur les routes, en prenant son temps, sans trop de préparation, sans listes d’incontournables à voir à tout prix, sans appareil photo, pour rester disponible à ce qui arrive, pour pouvoir se consacrer à l’instant, sans vouloir à tout prix le planifier et le fixer autrement que par la souvenir.
Sortie prévue le 6 septembre.
Paolo Rumiz s’intéresse dans ce voyage aux montagnes. Les Alpes tout d’abord, dont il cherche le début, quelque part en Croatie, mais personne ne semble savoir où ces fichues montagnes commencent. Il traverse ensuite plusieurs pays, avec le fil rouge de la chaîne montagneuse, des endroits secrets, le moins fréquentés possibles, qui ont gardé quelque chose d’une rudesse, d’un isolement d’origine, même si cela devient de plus en plus une gageure. L’Italie, la Suisse, un petit crochet par la France...le tout à une allure lente, pour avoir le temps de voir, de faire des rencontres.
Puis un deuxième périple, dans les Apennins, pour essayer de retrouver une Italie loin des circuits touristiques, dans un véhicule qui prenne le temps et qui éveille des souvenirs et de la sympathie, une voiture des années 50, une Topolino (sur les photos, cela ressemble un tout petit peu à une 2CV). Une voiture qui va forcément connaître quelques ennuis mécaniques, qui n’est pas étanche, ce qui oblige à des arrêts lorsqu’il pleut trop fort, qui bien sûr n’est pas climatisée. La conduire nécessite une dépense physique non négligeable. Le voyage peut être une aventure de chaque instant.
Paolo Rumiz fait dans son voyage un inventaire de façons de vivre, de cultures en train de disparaître ou qui ont déjà disparues. De villages qui se vident, de régions qui se meurent. Une Italie qui cède de plus en plus aux sirènes de la mondialisation, en sacrifiant toutes les spécificités, toutes les habitudes séculaires, tout ce qui faisait son charme en somme. Le récit de Paolo Rumiz est habité par la nostalgie de ce qui a été, ce qui s’est construit pendant des siècles, des lieux habités d’histoire et de souvenirs, qui disparaissent, s’effacent en quelques années. Un désir d’amnésie semble pousser désormais ses concitoyens dans une fuite en avant.
Un beau voyage, que le lecteur est heureux de pouvoir faire, avec pour guide un passionné, un connaisseur, qui nous montre des endroits dans lesquels on arriverait sans doute pas tout seul. Qui donne envie de partir sur les routes, en prenant son temps, sans trop de préparation, sans listes d’incontournables à voir à tout prix, sans appareil photo, pour rester disponible à ce qui arrive, pour pouvoir se consacrer à l’instant, sans vouloir à tout prix le planifier et le fixer autrement que par la souvenir.
Sortie prévue le 6 septembre.
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Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Rentrée littéraire
Si on se voit en octobre, je pourrais te le passer sans problème !
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Queenie- Messages : 7151
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Re: Rentrée littéraire
Le Cénotaphe de Newton / Dominique Pagnier
Comment résumer un tel livre, un livre monde, qui se déroule sur plusieurs siècles, sur plusieurs continents, avec des dizaines de personnages ? Quel en est le sujet principal ? Les personnages essentiels ? Les thèmes centraux ? Ce serait une gageure que d'arriver à le formuler.
Ce livre est pour moi un voyage magnifique, et dans plusieurs dimensions en quelque sorte. Dans le temps et dans l'histoire : la Révolution française, la première guerre mondiale, la Révolution russe, la Guerre d'Espagne, le 3em Reich, la RDA…..j'en oublie forcément. Dans l'espace aussi, entre la France, l'Autriche, l'Allemagne, la Russie, la mystérieuse Asie...Dans l'art, l'architecture, la peinture, la musique, le théâtre, le cinéma, la photographie…
Mais avant tout un voyage dans les rêves, dans les rêves qui habitent à l'infini les personnages, comme si l'impossible, l'insaisissable, ce qui est plus loin, seulement entrevu était plus vital, plus consistant que le tangible, le présent. le rêve que représente ce Cénotaphe de Newton, imaginé par l'architecte Boullée au XVIIIe siècle, jamais construit, mais qui va continuer à nourrir les rêves, à travers le temps et l'espace. Et tout particulièrement ceux des membres de la famille Arius : Konstantin, Theodor, Nelson, Karl Friedrich et Manfred enfin, le dernier rejeton mâle de la lignée, dont la vie va occuper un nombre très important des pages du roman. Ils imaginent, créent, inventent, des bâtiments, des images, des décors, des ballons….rêvent à réaliser des projets fous comme le Cénotaphe de Newton, ou le palais d'Orianda, quitte à risquer leurs vies.
Manfred va rêver aussi à des femmes, croisées un moment, d'autant plus attirantes qu'impossible à retrouver, comme Jaanika Trotha-Treyden, fille d'un baron balte et d'une princesse oghouz. Mais il va surtout rêver à changer le monde, s'engager dans le communisme, participer à la guerre d'Espagne, à la résistance. Pendant ce temps, des hommes vont organiser des guerres, perpétrer des massacres, des pogroms, créer des camps d'extermination. Embraser l'Europe et le monde, asservir, détruire, tuer, humilier. Manfred, comme ses ancêtres, va croiser leurs routes sanglantes, être plus qu'un spectateur, même s'il est avant tout un rêveur.
Sa vie, comme celle de sa plus jeune fille Jeanette sera finalement consignée, répertoriée, figée, dans les rapports de la Stasi, dans ses moindres détails. Dans un soucis maniaque de ne rien laisser échapper, dans l'illusion de pouvoir saisir l'essence d'un être dans les faits bruts. Mais ses rêves, ce qui ne peut que difficilement s'expliquer ou se mettre en mots, échappent au final à l'enquêteur le plus consciencieux. Ou le rendent fou dans leur impossible poursuite, comme l'est devenu Helmar Götz, l'officier en charge des dossiers Arius, lui aussi parti au final dans un rêve étrange et dangereux.
De nombreux livres ont tenté d'embraser l'histoire du XXe siècle, de la civilisation européenne, de raconter les destins d'une famille dans les vicissitudes liées aux événements historiques. Peu sont arrivés à un résultat aussi passionnant, vertigineux, troublant. On peut tenter d'expliquer les raisons de ce succès par une splendide écriture, l'immense érudition, une maîtrise de la structure romanesque remarquable de Dominique Pagnier. Certes. Mais tout cela n'explique rien au fond. Peut être tout simplement qu'il est aussi un rêveur, et qu'il a le don rare de pouvoir faire partager ses rêves à ses lecteurs.
Comment résumer un tel livre, un livre monde, qui se déroule sur plusieurs siècles, sur plusieurs continents, avec des dizaines de personnages ? Quel en est le sujet principal ? Les personnages essentiels ? Les thèmes centraux ? Ce serait une gageure que d'arriver à le formuler.
Ce livre est pour moi un voyage magnifique, et dans plusieurs dimensions en quelque sorte. Dans le temps et dans l'histoire : la Révolution française, la première guerre mondiale, la Révolution russe, la Guerre d'Espagne, le 3em Reich, la RDA…..j'en oublie forcément. Dans l'espace aussi, entre la France, l'Autriche, l'Allemagne, la Russie, la mystérieuse Asie...Dans l'art, l'architecture, la peinture, la musique, le théâtre, le cinéma, la photographie…
Mais avant tout un voyage dans les rêves, dans les rêves qui habitent à l'infini les personnages, comme si l'impossible, l'insaisissable, ce qui est plus loin, seulement entrevu était plus vital, plus consistant que le tangible, le présent. le rêve que représente ce Cénotaphe de Newton, imaginé par l'architecte Boullée au XVIIIe siècle, jamais construit, mais qui va continuer à nourrir les rêves, à travers le temps et l'espace. Et tout particulièrement ceux des membres de la famille Arius : Konstantin, Theodor, Nelson, Karl Friedrich et Manfred enfin, le dernier rejeton mâle de la lignée, dont la vie va occuper un nombre très important des pages du roman. Ils imaginent, créent, inventent, des bâtiments, des images, des décors, des ballons….rêvent à réaliser des projets fous comme le Cénotaphe de Newton, ou le palais d'Orianda, quitte à risquer leurs vies.
Manfred va rêver aussi à des femmes, croisées un moment, d'autant plus attirantes qu'impossible à retrouver, comme Jaanika Trotha-Treyden, fille d'un baron balte et d'une princesse oghouz. Mais il va surtout rêver à changer le monde, s'engager dans le communisme, participer à la guerre d'Espagne, à la résistance. Pendant ce temps, des hommes vont organiser des guerres, perpétrer des massacres, des pogroms, créer des camps d'extermination. Embraser l'Europe et le monde, asservir, détruire, tuer, humilier. Manfred, comme ses ancêtres, va croiser leurs routes sanglantes, être plus qu'un spectateur, même s'il est avant tout un rêveur.
Sa vie, comme celle de sa plus jeune fille Jeanette sera finalement consignée, répertoriée, figée, dans les rapports de la Stasi, dans ses moindres détails. Dans un soucis maniaque de ne rien laisser échapper, dans l'illusion de pouvoir saisir l'essence d'un être dans les faits bruts. Mais ses rêves, ce qui ne peut que difficilement s'expliquer ou se mettre en mots, échappent au final à l'enquêteur le plus consciencieux. Ou le rendent fou dans leur impossible poursuite, comme l'est devenu Helmar Götz, l'officier en charge des dossiers Arius, lui aussi parti au final dans un rêve étrange et dangereux.
De nombreux livres ont tenté d'embraser l'histoire du XXe siècle, de la civilisation européenne, de raconter les destins d'une famille dans les vicissitudes liées aux événements historiques. Peu sont arrivés à un résultat aussi passionnant, vertigineux, troublant. On peut tenter d'expliquer les raisons de ce succès par une splendide écriture, l'immense érudition, une maîtrise de la structure romanesque remarquable de Dominique Pagnier. Certes. Mais tout cela n'explique rien au fond. Peut être tout simplement qu'il est aussi un rêveur, et qu'il a le don rare de pouvoir faire partager ses rêves à ses lecteurs.
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Arabella- Messages : 4815
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Zouleikha ouvre les yeux, Gouzel Iakhina
Zouleikha ouvre les yeux, Gouzel Iakhina
(ed. Noir sur Blanc - 24.08.17)
ça commence au fin fond de la Russie rurale, au Tatarstan. Fin des années 20. En plein hiver. Zouleikha se lève plus tôt que tout le monde, pour aller chaparder en secret une friandise de pommes séchées dans le grenier. Guettant les ronflements de son mari, Mourtaza, elle traverse la petite maison, pieds nus sur le sol gelé. Mais c'est surtout de sa belle-mère, La Goule, dont elle a peur. Vieille femme aveugle, acariâtre et despotique. Qui la traite comme une esclave et l'humilie à la moindre occasion.
Mais Zouleikha trouve le courage d'aller voler cette sucrerie pour qui pour quoi ? On s'inquiète, on panique, on angoisse avec elle à chaque pas, à chaque craquement de bois, à chaque soupir du vent. Et on apprend, terrifiée, que ce n'est pour elle, un pique de gourmandise qui serait presque révolutionnaire vue son existence, ni pour un ami, un amant, une soeur... qui serait comme un point d'ancrage d'amour et de solidarité dans ce monde glacial. Non. C'est pour le dieu de la rivière, qu'il transmette au dieu du cimetière qu'il prenne soin de ces 4 filles mortes en très bas âge.
Le ton est posé.
Zouleikha a une vie terrible et terrifiante.
Dans la solitude la plus abjecte, celle où d'autres l'entourent mais pour l'exploiter, la traiter pire qu'un animal. Elle est une servante, sa vie n'est qu'une succession de tâches, nul repos pour elle. Entre entretenir la maison, faire à manger, aider Mourtaza avec le bois, les bêtes, laver sa belle-mère, et s'allonger, les cuisses ouvertes lorsque son mari veut bien d'elle. Et le poids de ne pas enfanter. Le poids d'avoir le ventre creux. Le poids d'avoir quatre tombes sur lesquelles elle ne peut se recueillir.
Puis Staline relance avec force la dékoulakisation (les koulaks sont ces paysans "bourgeois", qui seront chassés de leurs terres, volés de leurs biens, et envoyés en Sibérie. Pour le partage, la soviétisation.
La plupart mourront, assassinés par les soldats de l'armée russe, ou sur le chemin de la déportation de masse à pieds ou en train de marchandise. D'autres mourront encore sur ces terres glaciales, peu fertiles, de la Sibérie.
Quelques-uns survivront.
Le regard de Zouleikha sur les choses est doux, soumis, naïf, et en même temps obstiné à vivre. L'Histoire est affreuse, brutale, morbide, mais par le prisme de ses personnages, Iakhina arrive à en tirer une histoire pleine d'humanité, de force, d'espoir.
Elle n'insiste pas sur l'horreur, les maladies, les maltraitances, la famine perpétuelle, le froid, et les morts, le lecteur les sait, les connaît, les ressent. Elle met au contraire en avant la solidarité, l'amour, l'incroyable capacité de l'humain à s'adapter, à survivre.
Zouleikha ouvre les yeux. Lentement, sûrement. Cette petite femme fragile est un roc, un être qui a le cœur palpitant, prêt à aimer de toutes ses forces, mais qu'elle garde soigneusement blotti et protégé. Elle est une louve, silencieuse, l'oeil aiguisé, solitaire, mais acharnée à être une mère protectrice, affamée d'affection.
Ce roman est fluide, prenant, on ressent jusque dans le bout des doigts la douleur du froid et du labeur.
C'est un pan de l'Histoire, horrible, où la petite histoire devient belle, où les personnages sont comme des figures métaphoriques d'une humanité qui pourrait vivre ensemble, mains tendues les uns vers les autres.
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Queenie- Messages : 7151
Date d'inscription : 29/11/2016
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Re: Rentrée littéraire
Le maître du comics américain, Alan Moore, signe un roman de 1300 pages aux éditions Inculte.
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Misunderstood, yeah She's good I can tell
Though everyone tells me I'm under her spell
But I'll never leave her they don't know our deal
Mordicus- Messages : 403
Date d'inscription : 03/12/2016
Re: Rentrée littéraire
Massif.
Faut peut-être faire une retraite au fin fond des bois pour se mettre dedans ?
Faut peut-être faire une retraite au fin fond des bois pour se mettre dedans ?
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Queenie- Messages : 7151
Date d'inscription : 29/11/2016
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leur séparation, sophie lemp
Leur séparation, Sophie Lemp
(Allary Edtions, 01.09.2017)
Sophie Lemp m'avait complètement bouleversée avec son premier livre : Le fil. Elle y racontait le décès de sa grand-mère, leur relation, son manque, sa douleur. C'était Beau. Leur relation intense, douce était particulièrement bien retranscrite par Sophie.
Pour Leur séparation, elle se livre une nouvelle fois. Elle parle de divorce de ses parents lorsqu'elle avait 10 ans. L'impact que cette séparation a eu sur elle, les signes qu'elle refusait de voir, et les choses qu'elle a oublié et qui reviennent (grâce notamment, une nouvelle fois, aux carnets de sa grand-mère).
Alors que Le fil était plutôt direct, l'émotion très forte et présente, pour Leur séparation, tout est plus ténu. Sophie Lemp raconte son désarroi, sa peine, le vide et la culpabilité, mais de son regard distant d'adulte sur l'enfant. C'est touchant et sensible, le sujet semble encore délicat, et ambigu.
Ce court récit est un témoignage mélancolique et fin sur ce que peut traverser un enfant, et même l'adulte des années plus tard, de la séparation des deux êtres dont elle reste le lien tangible. On sent les non dits, les refoulements, la fragilité d'un équilibre d'une famille qui se défait.
Également une belle et très appropriée couverture des éditions Allary. Bien sûr Hopper a été moult fois utilisé comme couverture de livre, mais pour Leur Séparation, c'est infiniment juste.
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Queenie- Messages : 7151
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