Nathalie Sarraute
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Nathalie Sarraute
Nathalie Sarraute
Source : Wikipédia
Nathalie Sarraute, née Natalia Ilinitchna Tcherniak, voit le jour le 18 juillet 19001 à Ivanovo-Voznessensk, près de Moscou, dans une famille de la bourgeoisie juive assimilée, aisée et cultivée. Ses parents, Ilya Tcherniak et Pauline Chatounowski, divorcent alors qu'elle est âgée de deux ans. Sa mère l'emmène vivre avec elle à Genève, puis à Paris, où elles habitent rue Flatters, dans le cinquième arrondissement. Natalia va à l'école maternelle de la rue des Feuillantines. Chaque année, elle passe deux2 mois avec son père, soit en Russie, soit en Suisse. Ensuite Natalia Tcherniak ira de nouveau vivre en Russie, à Saint-Pétersbourg, avec sa mère et le nouveau mari de celle-ci, Nicolas Boretzki. Ilya Tcherniak, le père de Natalia, qui connaît des difficultés en Russie du fait de ses opinions politiques, sera quant à lui contraint d'émigrer à Paris. Il va créer une usine de matières colorantes à Vanves. La jeune Natalia grandit aussi près de son père à Paris et avec Véra, la seconde femme de son père, et bientôt sa demi-sœur Hélène, dite Lili. Cette période, entre 1909 et 1917, sera difficilement vécue par Nathalie Sarraute.
Elle reçoit une éducation cosmopolite et, avant de trouver sa voie, poursuit des études diverses : elle étudie parallèlement l'anglais et l'histoire à Oxford, ensuite la sociologie à Berlin, puis fait des études de droit à Paris. Elle devient ensuite avocate, et s'inscrit au barreau de Paris. En 1925, elle épouse Raymond Sarraute, avocat comme elle. De cette union naissent trois enfants : Claude (née en 1927), Anne (1930-2008) et Dominique (née en 1933).
Parallèlement, Nathalie Sarraute découvre la littérature du XXe siècle, spécialement avec Marcel Proust, James Joyce et Virginia Woolf, qui bouleversent sa conception du roman. En 1932, elle écrit les premiers textes de ce qui deviendra le recueil de courts textes Tropismes dans lequel elle analyse les réactions physiques spontanées imperceptibles, très ténues, en réponse à une stimulation : « mouvements indéfinissables qui glissent très rapidement aux limites de la conscience ; ils sont à l'origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu'il est possible de définir ». Tropismes sera publié en 1939 et salué par Jean-Paul Sartre et Max Jacob.
En 1940, Nathalie Sarraute est radiée du barreau à la suite des lois anti-juives et décide de se consacrer à la littérature. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle héberge un temps Samuel Beckett, dramaturge du théâtre de "l'absurde" recherché par la Gestapo pour ses activités de résistance. Elle réussira à rester en Île-de-France non sans se plier à plusieurs changements d'adresse et à l'usage de faux papiers ; elle sera contrainte de divorcer pour protéger Raymond d'une radiation du barreau.
En 1947, Jean-Paul Sartre écrit la préface de Portrait d'un inconnu, qui sera publié un an après par Robert Marin. Mais il lui faudra attendre la publication de Martereau (1953) pour commencer à connaître le succès. Le livre paraît chez Gallimard et elle restera désormais fidèle à cette maison d'édition.
En 1960, elle compte au nombre des signataires du Manifeste des 121, titré « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ».
En 1964, elle reçoit le Prix international de littérature pour son roman Les Fruits d'Or.
Parallèlement à son œuvre romanesque, elle commence à écrire pour le théâtre, à l'invitation d'une radio allemande. Le Silence paraîtra en 1964, Le Mensonge deux ans plus tard. Suivront Isma, C'est beau, Elle est là et Pour un oui ou pour un non. Ces pièces suscitent rapidement l'intérêt des metteurs en scène. Ainsi, Claude Régy crée Isma en 1970, puis C'est beau en 1975 et Elle est là en 1980 ; Jean-Louis Barrault crée en 1967 Le Silence et Le Mensonge à l'Odéon, pièces que montera plus tard Jacques Lassalle (1993) pour l'inauguration du Vieux Colombier en tant que deuxième salle de la Comédie-Française. Simone Benmussa adapte son autobiographie Enfance pour la scène (1984), à Paris (Théâtre du Rond-Point), puis à New York sous le titre Childhood (1985) et crée ensuite Pour un oui ou pour un non (création mondiale à New York par Simone Benmussa sous le titre For no good reason en 1985 ; création en France au Théâtre du Rond-Point en 1986). Benmussa réalise aussi le film Portrait de Nathalie Sarraute, avec Nathalie Sarraute (production Centre Georges Pompidou et Éditions Gallimard), sélectionné dans "Perspectives du cinéma français" pour le Festival de Cannes de 1978.
Nathalie Sarraute meurt à Paris le 19 octobre 1999 alors qu'elle dit travailler à une septième pièce et est inhumée à Chérence, dans le Val-d'Oise.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4799
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Nathalie Sarraute
Le mensonge
Ecrite en 1966 pour la radio, il s'agit de la deuxième pièce de Nathalie Sarraute, après le silence. Suite à la création radiophonique, la pièce a été montée au théâtre par Jean-Louis Barrault à l'Odéon, précédée par le silence.
Il s'agit d'une oeuvre courte (une quarantaine de pages en édition de poche), qui comporte néanmoins neuf personnages, identifiés par leurs prénoms. Lorsque la pièce commence, un débat est en cours : Pierre n'a pu s'empêcher de dénoncer un mensonge d'un personnage qui n'apparaît pas sur scène, ce que blâment les autres intervenants. le mensonge en cause étant plutôt une mise en valeur de la personne qui le faisaient, sans véritable incidence pour les autres, un mensonge gratuit, celui que tout le monde ou presque fait plus ou moins régulièrement pour donner une meilleure image de soi, aux autres et à soi-même. La majorité dans le groupe est opposée à démonter ce genre de propos, le vivre ensemble (comme on dit maintenant) nécessite de passer sur ce type de propos, qui au fond, ne font de mal à personne. Les membres du groupe chapitrent donc Pierre, et tentent de soigner son irrépressible besoin de vérité à tout prix. Condamnation morale, psychodrame, ou plutôt jeu de rôle, sont utilisées pour faire bouger le récalcitrant. Mais ce dernier a de la ressource, et au final, il fait bouger les lignes chez certains, ou tout au moins provoque un malaise. Avant une sorte de pirouette finale.
Pièce brillante, qui sous une allure anodine pose des questions essentielles, en particulier sur les rapports sociaux, sur la nature des échanges entre les individus. Au-delà de la parole, des faits ou informations transmises, l'essentiel n'est-il pas l'affect, le subjectif, ce que l'on renvoie à l'autre de lui. La poursuite scrupuleuse de la vérité n'est-elle pas juste une manière d'établir un rapport de force en sa faveur ? Ou au contraire, laisser dire l'autre tout en n'en pensant pas moins n'est-il pas un moyen de domination ? Il n'y a pas de réelle bienveillance entre les personnages de la pièce, chacun se positionne dans la hiérarchie sociale, mais la pièce n'est clairement pas psychologique, il y a une approche presque abstraite des questionnements posés. Ce qui ne l'empêche pas d'être drôle, ce qui est incontestablement un tour de force. Une oeuvre brillante, forte, sous une apparence modeste.
Je regrette que les pièces de Nathalie Sarraute ne soient pas plus jouées, sans doute en partie à cause de leur formats atypiques. Pour avoir vu Pour un oui, pour un non, je sais à quel point cela peut-être efficace sur une scène ; je suis sûre que le mensonge peut l'être tout autant, s'il est bien joué.
Ecrite en 1966 pour la radio, il s'agit de la deuxième pièce de Nathalie Sarraute, après le silence. Suite à la création radiophonique, la pièce a été montée au théâtre par Jean-Louis Barrault à l'Odéon, précédée par le silence.
Il s'agit d'une oeuvre courte (une quarantaine de pages en édition de poche), qui comporte néanmoins neuf personnages, identifiés par leurs prénoms. Lorsque la pièce commence, un débat est en cours : Pierre n'a pu s'empêcher de dénoncer un mensonge d'un personnage qui n'apparaît pas sur scène, ce que blâment les autres intervenants. le mensonge en cause étant plutôt une mise en valeur de la personne qui le faisaient, sans véritable incidence pour les autres, un mensonge gratuit, celui que tout le monde ou presque fait plus ou moins régulièrement pour donner une meilleure image de soi, aux autres et à soi-même. La majorité dans le groupe est opposée à démonter ce genre de propos, le vivre ensemble (comme on dit maintenant) nécessite de passer sur ce type de propos, qui au fond, ne font de mal à personne. Les membres du groupe chapitrent donc Pierre, et tentent de soigner son irrépressible besoin de vérité à tout prix. Condamnation morale, psychodrame, ou plutôt jeu de rôle, sont utilisées pour faire bouger le récalcitrant. Mais ce dernier a de la ressource, et au final, il fait bouger les lignes chez certains, ou tout au moins provoque un malaise. Avant une sorte de pirouette finale.
Pièce brillante, qui sous une allure anodine pose des questions essentielles, en particulier sur les rapports sociaux, sur la nature des échanges entre les individus. Au-delà de la parole, des faits ou informations transmises, l'essentiel n'est-il pas l'affect, le subjectif, ce que l'on renvoie à l'autre de lui. La poursuite scrupuleuse de la vérité n'est-elle pas juste une manière d'établir un rapport de force en sa faveur ? Ou au contraire, laisser dire l'autre tout en n'en pensant pas moins n'est-il pas un moyen de domination ? Il n'y a pas de réelle bienveillance entre les personnages de la pièce, chacun se positionne dans la hiérarchie sociale, mais la pièce n'est clairement pas psychologique, il y a une approche presque abstraite des questionnements posés. Ce qui ne l'empêche pas d'être drôle, ce qui est incontestablement un tour de force. Une oeuvre brillante, forte, sous une apparence modeste.
Je regrette que les pièces de Nathalie Sarraute ne soient pas plus jouées, sans doute en partie à cause de leur formats atypiques. Pour avoir vu Pour un oui, pour un non, je sais à quel point cela peut-être efficace sur une scène ; je suis sûre que le mensonge peut l'être tout autant, s'il est bien joué.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4799
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Nathalie Sarraute
merci pour ce fil
je viens de ressortir Enfance de ma PAL
je viens de ressortir Enfance de ma PAL
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Life is a lot like Jazz
Best when you improvise
George Gershwin
Re: Nathalie Sarraute
Elle est là
Cinquième pièce de l'auteur, la première qu'elle dit avoir écrit vraiment pour le théâtre, c'est pourtant à la radio de Cologne qu'elle est créée en 1978. La création théâtrale en français eut lieu en 1980 dans la mise en scène de Pierre Régy.
Le personnage principal, H. 2, est très perturbé par l'attitude de F., son assistante. Cette dernière a semblé par son silence réservé, mettre en cause l'exposition d'une opinion que H. 2 pensait d'un bon sens incontestable. Il n'arrive pas à chasser cette pensée de son esprit pendant une conversation avec H. 1. F. lui paraît avoir une idée en tête, différente de la sienne, et qui remet en cause cette dernière. H. 1 se retire, il est remplacé par H. 3 qui va essayer d'apporter son soutien à H. 2 pour faire abdiquer F. et chasser son idée. Mais F. résiste, et son idée, dont on ne saura rien, semble menacer tout le monde de H. 2 d'effondrement. F. finit par rendre les armes : mais le fait-elle vraiment, où joue-t-elle un jeu pour être tranquille ? Et l'idée qu'elle avait en tête, n'a-t-elle pas sa propre vie ailleurs ?
Une pièce que j'ai trouvée assez vertigineuse. La difficulté extrême à supporter la différence de l'autre, la menace que cela représente, la vie autonome des idées, qui se répandent, comme une maladie. L'impossibilité du contrôle aussi, l'autre est imprévisible et peut toujours échapper d'une façon ou d'une autre, même s'il semble se résigner. Un geste, une expression du visage, ont des sens qui peuvent ouvrir des perspectives sans fin.
Cela n'empêche pas la pièce d'être drôle pas moments, en particulier par des jeux d'interaction avec le spectateur (lecteur?). Une belle réussite.
Cinquième pièce de l'auteur, la première qu'elle dit avoir écrit vraiment pour le théâtre, c'est pourtant à la radio de Cologne qu'elle est créée en 1978. La création théâtrale en français eut lieu en 1980 dans la mise en scène de Pierre Régy.
Le personnage principal, H. 2, est très perturbé par l'attitude de F., son assistante. Cette dernière a semblé par son silence réservé, mettre en cause l'exposition d'une opinion que H. 2 pensait d'un bon sens incontestable. Il n'arrive pas à chasser cette pensée de son esprit pendant une conversation avec H. 1. F. lui paraît avoir une idée en tête, différente de la sienne, et qui remet en cause cette dernière. H. 1 se retire, il est remplacé par H. 3 qui va essayer d'apporter son soutien à H. 2 pour faire abdiquer F. et chasser son idée. Mais F. résiste, et son idée, dont on ne saura rien, semble menacer tout le monde de H. 2 d'effondrement. F. finit par rendre les armes : mais le fait-elle vraiment, où joue-t-elle un jeu pour être tranquille ? Et l'idée qu'elle avait en tête, n'a-t-elle pas sa propre vie ailleurs ?
Une pièce que j'ai trouvée assez vertigineuse. La difficulté extrême à supporter la différence de l'autre, la menace que cela représente, la vie autonome des idées, qui se répandent, comme une maladie. L'impossibilité du contrôle aussi, l'autre est imprévisible et peut toujours échapper d'une façon ou d'une autre, même s'il semble se résigner. Un geste, une expression du visage, ont des sens qui peuvent ouvrir des perspectives sans fin.
Cela n'empêche pas la pièce d'être drôle pas moments, en particulier par des jeux d'interaction avec le spectateur (lecteur?). Une belle réussite.
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Arabella- Messages : 4799
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Nathalie Sarraute
Je n'ai lu qu'un seul livre d'elle qui s'appelait 'Ici'. Je me souviens d'une écriture très singulière, très cérébrale, qui arrête et qui questionne. Il faut que je retrouve mes notes.
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'La littérature est une maladie textuellement transmissible, que l'on contracte en général pendant l'enfance'. Jane Yolen.
domreader- Messages : 3571
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Ile de France
Re: Nathalie Sarraute
@Domreader, j'ai retrouvé tes notes en cherchant autre chose sur le fil de l'auteur.
Je te les envoie par messages ;-)
Je te les envoie par messages ;-)
Aeriale- Messages : 11827
Date d'inscription : 30/11/2016
Re: Nathalie Sarraute
Tropismes
C'est en 1932 que l'auteure a écrit le premier des 18 textes qui feront partie de la première édition de Tropismes parue en 1939 aux éditions Denoël. Il faudra cinq ans à Sarraute pour rédiger ces 18 brefs textes (« On ne peut pas imaginer la lenteur de ce travail » écrira-t-elle), et ensuite deux ans pour être éditée, allant de refus en refus, tant son oeuvre est atypique. Elle écrira entre 1939 et 1941 six nouveaux textes qui prendront place dans la nouvelle édition de l'ouvrage entreprise à la demande d'Alain Robbe-Grillet aux Editions de Minuit en 1957, un des textes de la première version a été en revanche supprimé, c'est cette édition que est considérée comme définitive et éditée en l'état actuellement. Cette genèse extrêmement longue montre l'importance de ce texte pour l'auteure : « Au fond, je n'aurai vécu que pour une idée fixe » déclare-t-elle à la fin de sa vie, tous ses textes poursuivant au fond la traque de ces tropismes.
Emprunté au vocabulaire de la biologie, la notion de tropisme est essentielle dans l'oeuvre de Sarraute. Elle traduit la démarche de l'ateure qui s'attache à saisir des manifestations infimes du moi, à transformer en langage les vibrations, les tremblements du « ressenti », les mouvements intérieurs produits sous l'effet d'une sollicitation extérieure, « des mouvements ténus, qui glissent très rapidement au seuil de notre conscience » et se déroulent comme de véritables « actions dramatiques intérieures ». Il s'agit de saisir le plus authentique, le plus véritable, l'essence des êtres, au-delà de l'anecdotique, d'un narratif convenu, les éléments originaires, les mécanismes de la conscience antérieurs à l'expression. Cela nécessite d'un travail particulier sur la langue, sur l'expression, sur la ponctuation. Chaque mot doit être signifiant et juste.
Tout cela peut sembler théorique, abstrait, froid, alors que c'est tout le contraire. Je ne sais trop comment traduire le plaisir euphorique et intense que ces textes m'ont procuré. La justesse des mots, le rythme des phrases, la densité des contenus : ces textes sont essentiels, rien n'est gratuit, rien n'est du remplissage, tout est là parce que cela signifie, capte quelque chose de fondamental, qui gît au fond de chacun d'entre nous. C'est comme une sorte de vibration à l'unisson de notre moi le plus profond.
Une des expériences les plus fortes que la littérature m'ait donnée.
C'est en 1932 que l'auteure a écrit le premier des 18 textes qui feront partie de la première édition de Tropismes parue en 1939 aux éditions Denoël. Il faudra cinq ans à Sarraute pour rédiger ces 18 brefs textes (« On ne peut pas imaginer la lenteur de ce travail » écrira-t-elle), et ensuite deux ans pour être éditée, allant de refus en refus, tant son oeuvre est atypique. Elle écrira entre 1939 et 1941 six nouveaux textes qui prendront place dans la nouvelle édition de l'ouvrage entreprise à la demande d'Alain Robbe-Grillet aux Editions de Minuit en 1957, un des textes de la première version a été en revanche supprimé, c'est cette édition que est considérée comme définitive et éditée en l'état actuellement. Cette genèse extrêmement longue montre l'importance de ce texte pour l'auteure : « Au fond, je n'aurai vécu que pour une idée fixe » déclare-t-elle à la fin de sa vie, tous ses textes poursuivant au fond la traque de ces tropismes.
Emprunté au vocabulaire de la biologie, la notion de tropisme est essentielle dans l'oeuvre de Sarraute. Elle traduit la démarche de l'ateure qui s'attache à saisir des manifestations infimes du moi, à transformer en langage les vibrations, les tremblements du « ressenti », les mouvements intérieurs produits sous l'effet d'une sollicitation extérieure, « des mouvements ténus, qui glissent très rapidement au seuil de notre conscience » et se déroulent comme de véritables « actions dramatiques intérieures ». Il s'agit de saisir le plus authentique, le plus véritable, l'essence des êtres, au-delà de l'anecdotique, d'un narratif convenu, les éléments originaires, les mécanismes de la conscience antérieurs à l'expression. Cela nécessite d'un travail particulier sur la langue, sur l'expression, sur la ponctuation. Chaque mot doit être signifiant et juste.
Tout cela peut sembler théorique, abstrait, froid, alors que c'est tout le contraire. Je ne sais trop comment traduire le plaisir euphorique et intense que ces textes m'ont procuré. La justesse des mots, le rythme des phrases, la densité des contenus : ces textes sont essentiels, rien n'est gratuit, rien n'est du remplissage, tout est là parce que cela signifie, capte quelque chose de fondamental, qui gît au fond de chacun d'entre nous. C'est comme une sorte de vibration à l'unisson de notre moi le plus profond.
Une des expériences les plus fortes que la littérature m'ait donnée.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4799
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Nathalie Sarraute
Enfance
Paru en 1983 chez Gallimard, c'est sans doute le texte de Sarraute qui a le plus séduit critiques et lecteurs, même si certains y voient le signe que Sarraute rentre dans le rang, devient une auteure comme les autres, renonce à son exigence d'une écriture qui cherche de nouvelles formes, et qui refuse les conventions, l'inauthentique, le cliché.
Mais pour Sarraute, malgré ses spécificités, ce livre est dans le droit fil de ses oeuvres précédentes. « Ce n'est pas une autobiographie » dit-elle, car « ce n'est pas un rapport sur ma vie », « J'ai sélectionné, comme pour tous mes autres livres, des instants dont je pourrais retrouver la sensation. Cette fois, j'ai dit qu'il s'agissait de moi, non pas d'il ou d'elle ». Les souvenirs qu'elle évoque sont des sortes de tropismes en somme, peut-être des archétypes des tropismes. Ces souvenirs ne sont pas racontés pour le charme de l'anecdote, mais ils sont la base d'un travail d'approfondissement de l'expérience psychique de l'enfant. D'où le côté fragmentaire du récit : l'auteure a choisi des moments, des sensations essentiels, signifiants, que la mémoire a retenus, parce qu'ils avaient un sens et une force particulière et qu'au-delà de ce qu'ils nous racontent sur l'enfance de Nathalie Sarraute, ils mettent en évidence un fonctionnement plus général.
Une autre originalité de la forme de ce récit, est le dédoublement de l'auteure : un narrateur à proprement parlé, puis quelqu'un qui le questionne, qui le met en cause, qui doute de la véridicité de certains souvenirs, qui interroge la façon d'arranger le réel, de construire un mythe. Cette deuxième voix n'appartient pas moins à l'auteure que la voix qui raconte, qui se souvient. C'est dans l'échange entre ces deux composantes de l'écrivain qui se construit le discours.
Nous suivons ainsi, dans un ordre à peu près chronologique, quelques uns des souvenirs les plus essentiels de Nathalie Sarraute. Une enfance partagée entre la Russie et la France, jusqu'à un abandon qui ne disait pas son nom de sa mère, qui n'est pas allée la reprendre chez son père, dont elle était séparée, à Paris. Les relations difficiles avec sa belle-mère, l'investissement scolaire exacerbé etc. Une enfance compliquée, qui aurait pu donner lieu à un torrent de sentiments, à un pathos de tous les instants. Evidemment le récit est tout sauf ça, il y a des instants captés, décrits de la façon la plus neutre, la plus objective possible, le questionnement du souvenir. Mais ces instants sont des moments vraiment forts, et résument tellement de choses intenses à chaque fois, que le lecteur, peut y mettre ses propres sentiments, ses propres souvenirs, être touché et ému, se projeter parce que cela renvoie à quelque chose son propre vécu, justement parce que l'auteure n'y met pas sa propre sensibilité, mais laisse la place à celui qui la lit. Sarraute essaie et arrive, à partir de son propre expérience singulière, à dire quelque chose de n'importe quelle enfance, et la mise à distance qu'elle pratique, au lieu de détruire l'émotion, la suscite, en même temps qu'elle permet une réflexion et un questionnement personnel du lecteur, sur ses propres souvenirs.
Bouleversant et essentiel.
Paru en 1983 chez Gallimard, c'est sans doute le texte de Sarraute qui a le plus séduit critiques et lecteurs, même si certains y voient le signe que Sarraute rentre dans le rang, devient une auteure comme les autres, renonce à son exigence d'une écriture qui cherche de nouvelles formes, et qui refuse les conventions, l'inauthentique, le cliché.
Mais pour Sarraute, malgré ses spécificités, ce livre est dans le droit fil de ses oeuvres précédentes. « Ce n'est pas une autobiographie » dit-elle, car « ce n'est pas un rapport sur ma vie », « J'ai sélectionné, comme pour tous mes autres livres, des instants dont je pourrais retrouver la sensation. Cette fois, j'ai dit qu'il s'agissait de moi, non pas d'il ou d'elle ». Les souvenirs qu'elle évoque sont des sortes de tropismes en somme, peut-être des archétypes des tropismes. Ces souvenirs ne sont pas racontés pour le charme de l'anecdote, mais ils sont la base d'un travail d'approfondissement de l'expérience psychique de l'enfant. D'où le côté fragmentaire du récit : l'auteure a choisi des moments, des sensations essentiels, signifiants, que la mémoire a retenus, parce qu'ils avaient un sens et une force particulière et qu'au-delà de ce qu'ils nous racontent sur l'enfance de Nathalie Sarraute, ils mettent en évidence un fonctionnement plus général.
Une autre originalité de la forme de ce récit, est le dédoublement de l'auteure : un narrateur à proprement parlé, puis quelqu'un qui le questionne, qui le met en cause, qui doute de la véridicité de certains souvenirs, qui interroge la façon d'arranger le réel, de construire un mythe. Cette deuxième voix n'appartient pas moins à l'auteure que la voix qui raconte, qui se souvient. C'est dans l'échange entre ces deux composantes de l'écrivain qui se construit le discours.
Nous suivons ainsi, dans un ordre à peu près chronologique, quelques uns des souvenirs les plus essentiels de Nathalie Sarraute. Une enfance partagée entre la Russie et la France, jusqu'à un abandon qui ne disait pas son nom de sa mère, qui n'est pas allée la reprendre chez son père, dont elle était séparée, à Paris. Les relations difficiles avec sa belle-mère, l'investissement scolaire exacerbé etc. Une enfance compliquée, qui aurait pu donner lieu à un torrent de sentiments, à un pathos de tous les instants. Evidemment le récit est tout sauf ça, il y a des instants captés, décrits de la façon la plus neutre, la plus objective possible, le questionnement du souvenir. Mais ces instants sont des moments vraiment forts, et résument tellement de choses intenses à chaque fois, que le lecteur, peut y mettre ses propres sentiments, ses propres souvenirs, être touché et ému, se projeter parce que cela renvoie à quelque chose son propre vécu, justement parce que l'auteure n'y met pas sa propre sensibilité, mais laisse la place à celui qui la lit. Sarraute essaie et arrive, à partir de son propre expérience singulière, à dire quelque chose de n'importe quelle enfance, et la mise à distance qu'elle pratique, au lieu de détruire l'émotion, la suscite, en même temps qu'elle permet une réflexion et un questionnement personnel du lecteur, sur ses propres souvenirs.
Bouleversant et essentiel.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4799
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Nathalie Sarraute
Ici
Nathalie Sarraute
Dans ce livre qui n’est pas un roman (tel qu'on l'entend habituellement), ni un récit, ni un essai, Nathalie Sarraute capture des éclats de conversations, traque des expressions, des postures de langage et elle saisit la fugacité des réactions et des atmosphères que créent toutes ces expressions anodines en apparence. Une drôle d’écriture avec beaucoup de points de suspension qui marquent des pauses, des respirations et qui font en même temps un texte un peu syncopé, comme si une pensée en attirait une autre en même temps qu’elle la chassait. Dans ce texte les mots prennent vie, ils ont une existence et des contours, ce sont eux les personnages.
La toute première scène est autour de l’oubli d’un mot, d’un nom, autour du trou de mémoire :
Citation :
Il va revenir, il n’a pas disparu pour toujours, c’est impossible, il était là depuis si longtemps…c’est cette silhouette frêle, légèrement voûtée…presque effacée…c’est elle qui l’avait amené ici pour la première fois, il était arrivé porté par elle et il était resté ici plus solidement implanté qu’elle.
Il y avait en lui quelque chose d’insolite, de frappant qui l’avait fait s’incruster ici plus fortement, n’en plus bouger…Et voilà que tout à coup là où il était, où c’était sûr qu’il se trouverait, cette béance, ce trou… ‘Un trou de mémoire’ comme on dit négligemment, sans vouloir s’y attarder davantage….
Elle parle aussi très bien du silence :
Citation :
On dirait que loin par derrière, très loin, il y a comme de très légers vacillements…à peine perceptibles…comme des chatoiements, des miroitements…
On dirait qu’un petit miroir caché ici capte les rayons du soleil et fait jouer à l’horizon des points lumineux, glisser des lueurs…
On dirait que d’ici se une tiédeur se répand, très loin, qui réchauffe, fait germer, éclore…des paroles vont en jaillir et venir se déposer ici dans ce terreau…il n’y en a pas, il ne peut pas y en avoir pour elles de plus propice…
Je l’ai lu par petits bouts me laissant porter par les sensations et parfois en reprenant ma lecture à voix haute. Les instantanés de Nathalie Sarraute sonnent bien, cela m’a fait penser à Coline et à ses lectures à voix haute.
Nathalie Sarraute
Dans ce livre qui n’est pas un roman (tel qu'on l'entend habituellement), ni un récit, ni un essai, Nathalie Sarraute capture des éclats de conversations, traque des expressions, des postures de langage et elle saisit la fugacité des réactions et des atmosphères que créent toutes ces expressions anodines en apparence. Une drôle d’écriture avec beaucoup de points de suspension qui marquent des pauses, des respirations et qui font en même temps un texte un peu syncopé, comme si une pensée en attirait une autre en même temps qu’elle la chassait. Dans ce texte les mots prennent vie, ils ont une existence et des contours, ce sont eux les personnages.
La toute première scène est autour de l’oubli d’un mot, d’un nom, autour du trou de mémoire :
Citation :
Il va revenir, il n’a pas disparu pour toujours, c’est impossible, il était là depuis si longtemps…c’est cette silhouette frêle, légèrement voûtée…presque effacée…c’est elle qui l’avait amené ici pour la première fois, il était arrivé porté par elle et il était resté ici plus solidement implanté qu’elle.
Il y avait en lui quelque chose d’insolite, de frappant qui l’avait fait s’incruster ici plus fortement, n’en plus bouger…Et voilà que tout à coup là où il était, où c’était sûr qu’il se trouverait, cette béance, ce trou… ‘Un trou de mémoire’ comme on dit négligemment, sans vouloir s’y attarder davantage….
Elle parle aussi très bien du silence :
Citation :
On dirait que loin par derrière, très loin, il y a comme de très légers vacillements…à peine perceptibles…comme des chatoiements, des miroitements…
On dirait qu’un petit miroir caché ici capte les rayons du soleil et fait jouer à l’horizon des points lumineux, glisser des lueurs…
On dirait que d’ici se une tiédeur se répand, très loin, qui réchauffe, fait germer, éclore…des paroles vont en jaillir et venir se déposer ici dans ce terreau…il n’y en a pas, il ne peut pas y en avoir pour elles de plus propice…
Je l’ai lu par petits bouts me laissant porter par les sensations et parfois en reprenant ma lecture à voix haute. Les instantanés de Nathalie Sarraute sonnent bien, cela m’a fait penser à Coline et à ses lectures à voix haute.
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'La littérature est une maladie textuellement transmissible, que l'on contracte en général pendant l'enfance'. Jane Yolen.
domreader- Messages : 3571
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Localisation : Ile de France
Re: Nathalie Sarraute
Je l’ai lu par petits bouts me laissant porter par les sensations et parfois en reprenant ma lecture à voix haute. Les instantanés de Nathalie Sarraute sonnent bien, cela m’a fait penser à Coline et à ses lectures à voix haute.
C'est exactement l'idée qui m'est venue, à lire tes extraits. Elle est encore bien présente notre Coline...
C'est très bien décrit, très beau. Je ne l'ai jamais lue, je pourrais commencer par ce texte, il me dit bien.
Aeriale- Messages : 11827
Date d'inscription : 30/11/2016
Re: Nathalie Sarraute
Moi c'est notre sortie commune au théâtre qui me vient spontanément à l'esprit (Pour un oui, pour un non). En espérant retrouver vite ces instants...
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4799
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Nathalie Sarraute
Oh mais ça me dit quelque chose...
Je pense que j'y étais, à Paris, en effet. Tu te souviens du théâtre, @Arabella?
Je pense que j'y étais, à Paris, en effet. Tu te souviens du théâtre, @Arabella?
Aeriale- Messages : 11827
Date d'inscription : 30/11/2016
Re: Nathalie Sarraute
Le Lucernaire, ton préféré.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4799
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Nathalie Sarraute
Ah mais oui...je n'étais pas certaine, mais à présent, je m'en souviens!!
C'était l'époque bénie où on pouvait venir librement voir des spectacles à Paris
C'était l'époque bénie où on pouvait venir librement voir des spectacles à Paris
Aeriale- Messages : 11827
Date d'inscription : 30/11/2016
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