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Amélie Nothomb

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Message par eXPie Dim 18 Déc - 22:31

Amélie Nothomb — nom de plume de Fabienne Claire Nothomb — née le 9 juillet 1966 à Etterbeek, Bruxelles, est une romancière belge d'expression française.
(9 juillet 1966 - )

Amélie Nothomb 438px-10

Auteur prolifique, elle a publié un ouvrage par an depuis son premier roman Hygiène de l'assassin en 1992. Ses romans font partie des meilleures ventes littéraires et certains sont traduits en plusieurs langues. Ce succès lui vaut d'avoir été nommée commandeur de l'ordre de la Couronne et d'avoir reçu du roi Philippe le titre de baronne. Son roman Stupeur et Tremblements a remporté en 1999 le Grand prix du roman de l'Académie française. En 2015, elle a été élue membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.


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Message par eXPie Dim 18 Déc - 22:31

Amélie Nothomb Nothomb-riquet-p
- Riquet à la houppe (2016). Albin Michel. 198 pages.
"Enceinte à quarante-huit ans pour la première fois, Énide attendait l’accouchement comme d’autres la roulette russe. Elle se réjouissait pourtant de cette grossesse qu’elle espérait depuis si longtemps."
Enide va accoucher d'un petit Déodat. Le mari d'Enide s'appelle Honorat... Amélie Nothomb est fidèle à ce qui fait une de ses marques de fabrique : les prénoms originaux.
Déodat a une, ou plutôt deux particularités : il est très laid et très intelligent. Normal : l'auteur s'inspire du conte de Perrault Riquet à la houppe (dont on pourra trouver le texte par exemple sur : https://fr.wikisource.org/wiki/Riquet_à_la_houppe ). Elle s'était déjà inspiré d'un conte de Perrault (Barbe-Bleue) en 2012 et d'une nouvelle d'Oscar Wilde (Le Crime du comte Neville) en 2015.
Il y a un peu d'humour quand les amis du couple voient l'enfant :
"Après un silence crucifiant, les gens finissaient par hasarder un commentaire d’une maladresse variable : « C’est le portrait de son arrière-grand-père sur son lit de mort. » Ou : « Drôle de tête ! Enfin, pour un garçon, ce n’est pas grave. »"
Le bébé se révèle être très intelligent, et sa découverte du monde rappelle un peu Métaphysique des tubes (2000).
Un peu plus tard, nous faisons connaissance d'un autre couple, car deux histoires vont évoluer en parallèle :
"Sur l'autre rive de la Seine, un jeune couple nouvellement établi non loin de la gare d’Austerlitz mit au monde une petite fille. Le père s'appelait Lierre, la mère s’appelait Rose. Ils nommèrent le bébé Trémière.
– Vous êtes sûrs de ce prénom ? interrogea l'infirmière.
– Oui, dit l’accouchée. Mon mari porte un nom de plante grimpante et moi celui d'une rose. Une rose qui grimpe, c'est une rose trémière."
La petite fille est confiée à sa grand-mère, Passerose. Elle est très belle, mais... comment dire... elle n'est pas bête, elle a seulement une capacité d’ahurissement surdéveloppée. Elle peut rester des heures à contempler une gomme, par exemple.

On va donc un peu suivre Trémière, et surtout Déodat qui va découvrir le monde, la télévision, les oiseaux...
Il y a quelques petites réflexions (pas neuves) sur la beauté, la laideur, l'intelligence, tout ça. On en avait déjà eu sur ces sujets dans plusieurs Nothomb (par exemple dans Attentat, 1997).
A part ça, il y a tout comme d'habitude : du champagne (comme dans un paquet de Nothomb), le mot "pneus" (normal), quelques mots un peu littéraires...
Vers la fin, elle s'interrompt pour parler des contes, et de la façon dont ils finissent :
"En France, la majorité des contes se terminent bien. On ne s'offusque pas de les voir obéir à cette règle enfantine de la fin heureuse, qui est considérée comme une faute de goût par 99,99 % des littératures dignes de ce nom.
Le pont aux ânes de la littérature, c’est évidemment l’amour. Il faut croire que ce sujet est irrésistible. Les grands écrivains mondiaux qui n’ont pas consacré une ligne à l’amour se comptent sur les doigts d’une main.
Or, s’il est une règle presque absolue qui gouverne les chefs-d’œuvre de la littérature amoureuse, c’est qu’ils doivent se terminer très mal. Sinon, on considère que c’est du roman de gare. [...]
Le Bonheur dans le crime de Barbey d'Aurevilly est une exception grandiose. Élargissons le spectre en incluant les chefs-d'œuvre dont l’amour n’est pas l'unique sujet : Guerre et Paix, Au bonheur des dames sont de rares exemples de littérature où l'amour finit bien.
J'ai beau être une dévoreuse de livres, il va de soi que je n'ai pas lu tous les chefs-d’œuvre littéraires de ce monde, mais en 2015 il m'est arrivé une expérience édifiante : j’ai lu La Comédie humaine de Balzac en entier. Cent quarante-sept ouvrages de longueur et de valeur très inégales, certes, mais dont personne, j'espère, ne nie qu’il s'agit, au total, d’un chef-d’œuvre. Voilà une entreprise littéraire qui a eu l’ambition de peindre un univers dans son entier.
Sur les cent quarante-sept ouvrages, il y en a trente-cinq dans lesquels l'amour est quantité négligeable. Il en reste donc cent douze où l'amour joue un rôle narratif important, voire prépondérant. Sur ces cent douze histoires, sept se terminent bien, voire très bien."

Voilà qui explique peut-être pourquoi Le Crime du Comte Neville était aussi mauvais : Nothomb était probablement en train de lire Balzac. A défaut d'être contagieux, le génie peut distraire.

Riquet à la houppe est un conte gentil, plutôt agréable à lire sur le moment mais peu marquant (il manque de consistance). Curieusement - car un conte, c'est généralement court -, il est un peu plus long que d'habitude (presque 200 pages ! si, si).
Ceci dit, comparé à son précédent opus (Le Crime du Comte Neville), il y a une nette amélioration.
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Message par Arabella Dim 18 Déc - 23:16

Je me disais bien que tu ne tarderais pas à ouvrir un fil à Amélie Nothomb...Je ne suis pas sûre que tu seras très suivi, mais elle aurait manqué.

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Message par eXPie Lun 19 Déc - 7:19

C'était juste pour rendre service, à propos de "Riquet à la houppe", Aériale se posant une question sur https://booksenstock.forumactif.com/t129p45-derniers-livres-achetes-recus-en-cadeau
Mais c'est clair que c'est de toute façon un fil essentiel. Very Happy
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Message par Arabella Lun 19 Déc - 8:00

eXPie a écrit:
Mais c'est clair que c'est de toute façon un fil essentiel. Very Happy

Wink

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Message par Aeriale Lun 19 Déc - 8:57

eXPie a écrit:C'était juste pour rendre service, à propos de "Riquet à la houppe", Aériale se posant une question sur https://booksenstock.forumactif.com/t129p45-derniers-livres-achetes-recus-en-cadeau
Mais c'est clair que c'est de toute façon un fil essentiel. Very Happy

Ah voilà, tu l'as ouvert après, j'ai cru l'avoir loupé...

Merci Expie, à te lire il a quand même l'air drôle, même si pas à la hauteur de ses premiers! Elle a toujours des réflexions pas bêtes... Donc je ne regrette pas mon achat!

Je vous dirai.
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Message par Queenie Lun 4 Juin - 8:35

Amélie Nothomb Cosmet10
Cosmétique de l'ennemi, 2001

J'avais ce livre dans ma PAL depuis fort longtemps. Entre deux "vrais" bouquins, je me suis lancée, pour mes deux trajets de métro. Commencé et terminé. C'est comme un entracte, un court métrage.

Livre tenu en un dialogue (comme Hygiène de l'assassin).
Un homme rumine dans la salle d'attente d'un aéroport, son avion est annoncé avec du retard.
Un autre homme l'aborde, loufoque, étrange, casse pieds.
Ne pouvant s'en débarrasser, il se retrouve obligé de l'écouter.

C'est bien mené, bien écrit.
C'est cynique, violent, irritant.
Psychologie de comptoir.

Le twist final est une pirouette facile mais bien jouée.
ça pourrait faire un film. une pièce de théâtre (je suis certaine que ça a été fait).
ça fait penser à plein de choses déjà lues/vues.

Elle pourrait faire tellement beaucoup mieux en développant un peu (beaucoup) plus.



Plus qu'à passer à quelque chose de plus consistant.



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Message par Casus Belli Mar 25 Déc - 21:12

Amélie Nothomb 0270074_8
Dans ce roman, Amélie Nothomb imagine un concept de télé-réalité montrant des personnes enfermées comme dans un camp de concentration et filmées continuellement. L'émission en question s'appelle d'ailleurs "Concentration". 

La pertinence est dérangeante car la nature humaine est plus que déshabillée : elle est violée. Elle n'est pas simplement observée à nue, comme pourrait le faire n'importe quelle critique de la télé - réalité mais bousculée, tiraillée, déchirée, pénétrée puis torturée.

Amélie nothomb a écrit:"Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus : il leur en fallut le spectacle."

L'intérêt ici n'est pas de se délecter du style de l'auteur mais d'être dérangé ; ce qu'elle stipule dans son roman-manifeste (Hygiène de l'Assassin), est l'intérêt de traverser le roman sans scaphandre et voir notre propre monstruosité, nous dépouiller de toute hypocrisie pour observer une laideur fascinante. Ici, il s'agit de constater que nous sommes des monstres à vouloir de telles émissions. Le monstre, c'est le téléspectateur, pas le producteur. 

Il ne faut pas rechercher la cohérence, la faisabilité du scénario : son livre n'est pas une étude de projet de télé-réalité, mais une démonstration sur la nature humaine actuelle et non pas sur les dérives potentielles qui en découlent, ce récit N'EST PAS une anticipation, ni un signal d'alarme, comme aiment s'attitrer beaucoup d'œuvres de fictions scientifiques, mais une vision de soi ACTUELLE, et son HYPOCRISIE face à notre propre voyeurisme, car chaque fois que nous ouvrons la télé, ou un journal people, on est le monstre qu'elle décrit dans toute sa splendeur et c'est cela qui dérange et refuser de le constater ne fait que prouver la justesse de son observation lorsque les spectateurs allument leur télé tout en voulant que l'émission « Concentration » cesse. 

Prendre un tel sujet n'est pas se rabaisser mais au contraire affronter des défauts que l'on ne veut pas voir parce qu'ils sont puants.

Acide Sulfurique n'est pas une morale sur « ce n’est pas bien de tuer » ou « nous regardons des horreurs à la télé », mais un constat sur soi et NON sur la situation.

L’expérience réalisée par le psycho-sociologue français Jean-Léon Beauvois en 2007 Le jeu de la mort (Emission fictive), reprenant le concept de l’expérience de Milgram mais appliqué avec l’autorité de la télévision, est proche : sous couvert de l’autorité de la télévision, le sadisme peut avoir lieu.

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Message par Queenie Mer 26 Déc - 8:49

J'ai l'impression que j'ai lu ce livre...

En tout cas, tu en parles bien.

Cela dit, le monstre c'est le spectateur, mais aussi le producteur. Faut pas déconner.
Et constat sur soi okay, mais sociétal surtout. Parce que moi, la téléréalité je m'en tamponne. Après avoir vu les deux-trois premières émissions créées en France, j'ai vite abandonné.
Et c'est assez effrayant de voir qu'elles fonctionnent encore et si bien.

Sur ce thème, il y a le film This is Your Death (une émission de téléréalité où les gens se suicident en direct - et gagne un pactole reversé à qui ils veulent).

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Message par Aeriale Mer 26 Déc - 10:47

Je ne l’ai pas lu, mais oui tu en parles très bien, il faut que je me le procure. 

Ce miroir que Nothomb nous renvoit est impressionnant et effectivemen révélateur de nos dérives, de ce besoin malsain de s’abreuver de la vie des autres, et si possible dans ses aspects rarement les plus nobles. 

C’est toujours sidérant de tomber sur une de ces émissions, d’en constater à la fois le niveau d’abrutissement et le succès qu’elles génèrent Assez effrayant.
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Message par Casus Belli Mer 26 Déc - 14:05

Queenie a écrit:J'ai l'impression que j'ai lu ce livre...

En tout cas, tu en parles bien.


merci !

Cela dit, le monstre c'est le spectateur, mais aussi le producteur. Faut pas déconner. 

pas dans son livre. aux yeux de Pannonique, l'héroïne, le monstre est le spectateur qui s'abreuve, il est la racine du mal, et le producteur n'est que l'exploitant. il exploite une faille. mais faille il y a, en nous, le monstre voyeuriste. j'insiste sur ce point. l'émission "Concentration" a lieu et est la rencontre d'un spectatorat demandeur, voyeuriste et des producteurs. mais même si les producteurs n'en avaient pas eu l'idée, d'une telle émission, le mal serait toujours là : regarde, par exemple, les autres voitures ralentir quand il y a un accident de la route : sans nous l'avouer, on veut voir des bouts de corps, on veut voir le drame "t'as vu, c'est horrible !" mais dans notre for intérieur, on jubile... donc le mal premier, ce n'est pas le producteur, car, 
- même sans lui, on serait toujours aussi sale, aussi voyeur, aussi pervers. le producteur de l'émission n'est qu'un requin
alors que :
- sans le caractère voyeur du spectateur, l'émission ferait un flop, et personne ne la suivrait, elle péricliterait aussi vite qu'elle est venue. 
de même qu'Hitler n'aurait rien pu faire sans une demande antisémite forte, il n'a fait que répondre à une haine qui couvait. de même les producteurs de l'émission fictive "Concentration" ne font que répondre à un désir voyeuriste. 
enlever le producteur, c'est comme couper une plante : la racine (le voyeurisme) est toujours là, sous terre, prête à repousser dés que les conditions seront de nouveau réunies. 

Et constat sur soi okay, mais sociétal surtout. 

la société est faite d'individus; c'est une fiction, qui pousse jusqu'au paroxysme un mal intrinsèque à l'individu plus qu'à la société. je trouve qu'elle dissèque plus l'individu que la société, dans la mesure où elle extrapole la télé-réalité, c'est un tour de force qui ne fait pas état de la viabilité, de la crédibilité d'une telle émission, mais des puissances internes, des rouages. cette émission "Concentration" n'est qu'un cadre, une toile de fond. mais l'acteur principal, c'est la victime, le bourreau et le spectateur. comme dans une corrida : il y a le taureau, le matador et le public. c'est la recette miracle. c'est un jeu à trois acteurs-rices. mais c'est bien ces acteurs-rices qu'on observe, pas le décorum.

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Message par Queenie Mer 26 Déc - 19:48

Okay pour le parti pris du livre, auquel je n'adhère pas complètement, mais j'ai un peu l'habitude avec Amélie Nothomb qui saborde toute seule son talent en faisant des romans tellement courts qu'elle fait des raccourcis un peu grossiers parfois - alors qu'elle aborde des thèmes complexes.

Au moins elle soulève une réflexion, à chaque fois, dans ses livres, en quelques pages.
Au lecteur à faire son petit chemin et développement personnel.



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Message par eXPie Dim 27 Oct - 20:28

Amélie Nothomb Nothom10

- Soif (2019). Albin Michel. 162 pages.
Le roman raconte le jugement de Jésus, sa dernière nuit, la crucifixion...
Il commence ainsi :
"J’ai toujours su que l’on me condamnerait à mort. L’avantage de cette certitude, c’est que je peux accorder mon attention à ce qui le mérite : les détails.
Je pensais que mon procès serait une parodie de justice. Il l’a été en effet, mais pas comme je l’avais cru. À la place de la formalité vite expédiée que j’avais imaginée, j’ai eu droit au grand jeu. Le procureur n’a rien laissé au hasard.
Les témoins à charge ont défilé les uns après les autres. Je n’en ai pas cru mes yeux quand j’ai vu arriver les mariés de Cana, mes premiers miraculés.
- Cet homme a le pouvoir de changer l’eau en vin, a déclaré l’époux avec sérieux. Néanmoins, il a attendu la fin des noces pour exercer son don. Il a pris plaisir à notre angoisse et à notre humiliation, alors qu’il aurait pu si facilement nous éviter l’une et l’autre. À cause de lui, on a servi le meilleur vin après le moyen. Nous avons été la risée du village."

Les uns après les autres, tous ceux qui ont bénéficié des miracles de Jésus se plaignent.
"L’ancien aveugle s’est plaint de la laideur du monde, l’ancien lépreux a déclaré que plus personne ne lui octroyait l’aumône, le syndicat des pêcheurs de Tibériade m’a accusé d’avoir favorisé une équipe à l’exclusion des autres, Lazare a raconté combien il était odieux de vivre avec une odeur de cadavre qui vous collait à la peau. [...]
La mère d’un enfant que j’avais guéri est allée jusqu’à m’accuser de lui avoir gâché la vie.
– Quand le petit était malade, il se tenait tranquille. À présent, ça gigote, ça crie, ça pleure, je n’ai plus une minute de paix, je ne dors plus la nuit.
– N’est-ce pas vous qui aviez demandé à mon client de guérir votre fils ? a interrogé le commis d’office.
– De le guérir, oui, pas de le rendre aussi infernal qu’il l’était avant sa maladie.
– Peut-être auriez-vous dû préciser ce point.
– Il est omniscient, oui ou non ?"
C'est amusant, mais soyons honnêtes : c'est aussi un peu facile.

Face aux miraculés qui se plaignent, Pilate est dubitatif :
"Pilate consulta ses conseillers :
– La preuve que ces témoignages sont faux, c’est que notre homme n’exerce aucune magie pour se délivrer.
– Aussi n’est-ce pas le motif pour lequel nous exigeons sa condamnation.
– Je sais. Moi, je ne demande qu’à le condamner. Seulement, j’aurais apprécié de ne pas avoir l’impression de le faire pour des fumisteries !
– À Rome, il faut au peuple du pain et des jeux. Ici, il leur faut du pain et des miracles.
– Bon. Si c’est de la politique, cela ne me dérange plus.
Pilate se leva et déclara :
– Accusé, tu seras crucifié.
J’ai aimé son économie de langage. Le génie du latin ne commet jamais de pléonasme. J’aurais détesté qu’il dise : « Tu seras crucifié à mort. » Une crucifixion n’a pas d’autre issue possible.
[...]
– Est-ce qu’on le crucifie aujourd’hui ? demanda quelqu’un.
Pilate se posa la question et me regarda. Il dut voir que quelque chose manquait car il répondit :
– Non. Demain.
Quand je me suis retrouvé seul dans la cellule, j’ai su ce qu’il voulait que j’éprouve : la peur."

Pendant la nuit, le Christ va beaucoup penser : ses rapports avec son Père, Judas, l'Amour, Marie-Madeleine, le fait d'avoir un corps, etc. Et, là, on ne va plus être dans l'humour facile.

On en arrive ainsi au titre, "Soif" :
"Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi cette région du monde : il ne me suffisait pas qu’elle soit politiquement déchirée. Il me fallait une terre de haute soif. Aucune sensation n’évoque à ce point celle que je veux inspirer que la soif. Sans doute est-ce pour cela que nul ne l’a éprouvée autant que moi.
En vérité, je vous le dis : ce que vous ressentez quand vous crevez de soif, cultivez-le. Voilà l’élan mystique. Ce n’en est pas la métaphore. Quand on cesse d’avoir faim, cela s’appelle satiété. Quand on cesse d’être fatigué, cela s’appelle repos. Quand on cesse de souffrir, cela s’appelle réconfort. Cesser d’avoir soif ne s’appelle pas.
La langue dans sa sagesse a compris qu’il ne fallait pas créer d’antonyme à la soif. On peut étancher la soif et pourtant le mot étanchement n’existe pas.
Il y a des gens qui pensent ne pas être des mystiques. Ils se trompent. Il suffit d’avoir crevé de soif un moment pour accéder à ce statut. Et l’instant ineffable où l’assoiffé porte à ses lèvres un gobelet d’eau, c’est Dieu."
Tout cela est très nothombien - , et c'est là un des grands problèmes du livre.
Saramago - je parle de lui parce qu'il a écrit L'Evangile selon Jésus-Christ, que j'ai bien envie de lire pour voir ce qu'un grand auteur peut faire d'un grand sujet - a un style reconnaissable, mais tous les personnages ne sont pas Saramago. Or, chez Nothomb, on a tendance à entendre la voix d'Amélie : ce n'est pas Jésus qui parle, mais bien elle, avec son élocution caractéristique, son chapeau, son humour. Du coup, pas de "suspension consentie de l'incrédulité". Amélie est là, tout le temps présente, à jouer comme d'habitude sur les étymologies. Peut-être n'a-t-on pas cette impression si on ne la connaît pas bien ou qu'on ne l'a jamais lue ?

Un autre problème, c'est qu'avec ce Grand Sujet, il semble qu'elle veuille écrire quelque chose de profond, et plus seulement le bonbon généralement sympathique qu'elle nous livre tous les ans.
"On n’apprend des vérités si fortes qu’en ayant soif, qu’en éprouvant l’amour et en mourant : trois activités qui nécessitent un corps. L’âme y est indispensable aussi, bien sûr, mais ne peut en aucun cas y suffire."
Ah bon, et la méditation, alors ? Bouddha n'a pas appris de vérité forte ? On me répliquera que la méditation nécessite un corps... évidemment, comme toutes les activités humaines ! Bref, c'est idiot (doublement : dans la vraie vie, mais aussi dans la logique du livre, car dans la suite, Jésus va continuer à apprendre, une fois débarrassé de son corps).
Cette fausse profondeur est illustrée par la phrase mise en avant par l'éditeur : "Pour éprouver la soif, il faut être vivant". On pourrait remplacer "soif" par tellement de mots : faim, envie, sommeil, mais aussi haine, nausée, constipation... Comment éprouver sans être ? (il faut que je fasse attention, si je n'y prends garde, moi aussi je vais écrire une phrase profonde). D'accord, dans le contexte du livre, ça passe un peu mieux, mais quand même...
En passant, on notera que, lors de la crucifixion, les clous sont enfoncés dans les paumes ("Avoir des clous au travers des paumes, ce n’était rien comparé à peser dessus [...]"), ce qui est bien sûr idiot, puisque le poids du corps serait trop grand : c'est vraisemblablement au niveau des poignets que les clous étaient enfoncés.

Pour conclure, c'est un livre assez raté, et pire encore : ennuyeux.
Vu qu'on connaît l'histoire, il faut être sacrément bon écrivain pour intéresser le lecteur. Le style de Nothomb fonctionne dans les livres humoristiques, satiriques, mais là, non.

On sait qu'Hitchcock apparaît dans quasiment tous ses films, et que les spectateurs le cherchaient. Du coup, quand il voulait que les spectateurs soient particulièrement attentifs, il apparaissait dès le début, comme ça c'était fait, et les spectateurs pouvaient alors porter toute leur attention sur ce qui se passait à l'écran. Chez Nothomb, c'est le mot "pneu" qui doit apparaître. Jusqu'à la fin, j'ai pensé qu'elle n'y parviendrait pas, mais si, et de façon assez habile (du coup, étais-je donc déconcentré pendant la lecture ?).

Le plus grand mystère du livre, c'est le succès qu'il remporte... et le fait qu'il est dans le carré final pour le Goncourt !
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Message par Arabella Dim 27 Oct - 21:22

Les avis ici et là sont plutôt négatifs. Mais cela n'empêche pas les ventes de s'envoler. Je crois que tu n'es pas le seul à lire systématiquement tous ses livres, tout en ne les trouvant pas forcément terribles. Comme une sorte de mauvaises habitude, de rituel... Wink

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Message par eXPie Dim 27 Oct - 22:34

Oui, j'ai été étonné aussi de trouver pas mal de critiques négatives... Alors que ce dernier opus semble se vendre mieux que les précédents. Peut-être que sa sélection au Goncourt est aussi pour quelque chose dans ce succès de vente (il n'y a pas mieux à sélectionner, quand même ?).
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