Pierre Bayard
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Pierre Bayard
Pierre Bayard
Né en 1954 à Amiens, Pierre Bayard poursuit un double cursus d’études. D’abord en littérature : il est normalien, agrégé et docteur en lettres. En parallèle il suit un cursus de psychologie clinique et de psychanalyse.
Il enseigne les lettres depuis 1986 à l’université de Paris VIII – Saint Denis où il est actuellement professeur.
Il est par ailleurs essayiste, fondateur de la « critique interventionniste ».
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Pierre Bayard
Qui a tué Roger Ackroyd ?
Le titre de l'ouvrage tend à laisser penser qu'il s'agit d'un exercice de style « ludique » dans lequel l'auteur s'amuse à proposer une autre solution à l'énigme policière posée par Agatha Christie dans un de ses romans les plus connus, le meurtre de Roger Ackroyd. Cet aspect-là est bien présent, mais ce n'est pas le seul, et ce n'est pas ce qui m'a le plus intéressé dans le livre.
Après nous avoir résumé le roman, Pierre Bayard, s'attaque aux principes de base qui permettent aux romans policiers de fonctionner. Son analyse n'est sans doute pas originale (elle s'inspire en particulier de van Dine), mais elle met en évidence, d'une manière synthétique et claire, ces principes. Il insiste en particulier sur la manière dont l'auteur de romans policiers dissimule la vérité au lecteur, tout en ayant l'air de la mettre devant ses yeux, en lui donnant l'illusion qu'il aurait pu trouver la solution. Agatha Christie y est, d'après lui, passée maître. Pour y arriver, différentes techniques existent. On peut déguiser la vérité ou un élément essentiel de cette vérité, c'est à dire la rendre méconnaissable. Par exemple en semblant ôter à l'assassin la possibilité d'avoir commis le meurtre, ou en le rendant insoupçonnable du fait de sa fonction, ou de quelques propos ambigus du détective.
Pour empêcher le lecteur de prêter attention aux éléments qui pourraient l'amener à la solution, l'auteur peut tenter d'attirer son intérêt sur des faits, des objets, ou des personnes qui semblent désigner un autre coupable, ou qui n'ont aucun intérêt pour l'enquête, c'est le détournement.
Pierre Bayard en arrive à conclure, qu'au final, la mécanique du roman policier vise à empêcher le lecteur de penser, de former des idées précises, en l'égarant. En le noyant sous des éléments nombreux et non pertinents, et en dissimulant d'une manière ou d'une autre les seuls qui sont vraiment essentiels. Une sorte de jeu entre l'auteur et le lecteur.
L'auteur dispose d'un puissant levier pour induire en erreur son lecteur : l'omission. Comme le docteur Sheppard, le narrateur du Meurtre de Roger Ackroyd, il n'est pas obligé de tout dire. Ce procédé reste toutefois délicat à manipuler : il faut que l'omission passe inaperçue, ou qu'elle ait une raison valable, sinon le lecteur risque de trouver que l'auteur triche. Dans le cas où c'est le narrateur qui s'avère être le meurtrier, elle devient justifiée : il est normal que l'assassin cache des choses.
Ce jeu de pistes nombreuses dont beaucoup sont fausses, d'omissions, d'éléments pertinents présentés de manière à ce qu'ils passent inaperçus, provoque chez le lecteur une tentative de donner du sens, même si l'auteur essai de l'empêcher de penser efficacement, autrement dit à interpréter les données fournies par l'auteur pour résoudre l'énigme. Au point de pouvoir aboutir à des interprétations délirantes. Psychanalyste, en plus d'être professeur de littérature, Pierre Bayard développe cet aspect des choses, et en arrive à accuser Poirot de finir par fournir ce type d'interprétations. La question est délicate et dépasse le cadre du roman policier. A un moment, on en vient à se poser la questions du caractère délirant des interprétations littéraires elles-mêmes (sans oublier l'interprétation délirante qui pourrait être consubstantielle à la psychanalyse). L'auteur tente de ramener la raison, et trouve un point d'appui chez Tzvetan Todorov, qui distingue deux sens au mot « vérité » : la vérité-adéquation, qui fonctionne en tout ou rien, et la vérité-dévoilement, qui fonctionne en plus ou moins. Une grande partie de textes littéraires, et de leurs interprétations relèveraient de la vérité-dévoilement. D'une certaine manière on pourrait dire que ce qui serait délirant, ce serait de considérer la majorité des contenus littéraires ainsi que leurs interprétations comme des vérités-adéquations.
Ce qui autorise, d'une certaine manière, l'auteur, à fournir sa propre résolution du meurtre de Roger Ackroyd, différente de celle d'Agatha Christie. Qui, à mon avis, est encore plus problématique que celle de la reine du crime, même si Pierre Bayard pointe quelques faiblesses indéniables dans la raisonnement de Poirot à la fin du roman. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment sur les procédés des romans policiers, ces faiblesses sont inévitables : enchevêtrements des pistes, les subterfuges pour ne pas permettre au lecteur de soupçonner le vrai coupable, finissent par produire des éléments qui ne colleront finalement pas complètement dans le tableau final. Même si à mon sens, Agatha Christie est peut-être l'écrivain qui réussit à produire les textes les plus cohérents et les plus solides. Les plus convaincants en tous les cas pour un « vrai » lecteur, qui cherche dans sa lecture, un distraction, un plaisir avant tout.
En réalité, ce qu'un lecteur de romans policier cherche, ce n'est pas à mettre en déroute et à démasquer un meurtrier. Car celui-ci n'existe que dans le cerveau et le texte rédigé par l'auteur. Non, je crois que le lecteur se mesure à ce dernier, et essaie de trouver avant le moment choisi par le romancier pour révéler « la vérité », à trouver la solution de l'énigme imaginée par l'écrivain. A démasquer sa logique, à écarter les pistes trompeuses, à repérer malgré toutes les astuces pour qu'on ne les voit pas, les éléments signifiants. A être plus malin, non pas que le meurtrier, mais que l'auteur-démiurge dont il est une créature. C'est pour cela que l'on pourrait considérer que la tentative de Pierre Bayard de donner une interprétation alternative du crime de Roger Ackroyd, est un essai de prendre la place de l'auteur, un acte symboliquement très fort.
Un livre qui ouvre des pistes intéressantes, et qui est souvent assez amusant en plus. A conseiller aux amateurs des romans policiers certainement, mais en réalité à tous les amateurs de la littérature.
Le titre de l'ouvrage tend à laisser penser qu'il s'agit d'un exercice de style « ludique » dans lequel l'auteur s'amuse à proposer une autre solution à l'énigme policière posée par Agatha Christie dans un de ses romans les plus connus, le meurtre de Roger Ackroyd. Cet aspect-là est bien présent, mais ce n'est pas le seul, et ce n'est pas ce qui m'a le plus intéressé dans le livre.
Après nous avoir résumé le roman, Pierre Bayard, s'attaque aux principes de base qui permettent aux romans policiers de fonctionner. Son analyse n'est sans doute pas originale (elle s'inspire en particulier de van Dine), mais elle met en évidence, d'une manière synthétique et claire, ces principes. Il insiste en particulier sur la manière dont l'auteur de romans policiers dissimule la vérité au lecteur, tout en ayant l'air de la mettre devant ses yeux, en lui donnant l'illusion qu'il aurait pu trouver la solution. Agatha Christie y est, d'après lui, passée maître. Pour y arriver, différentes techniques existent. On peut déguiser la vérité ou un élément essentiel de cette vérité, c'est à dire la rendre méconnaissable. Par exemple en semblant ôter à l'assassin la possibilité d'avoir commis le meurtre, ou en le rendant insoupçonnable du fait de sa fonction, ou de quelques propos ambigus du détective.
Pour empêcher le lecteur de prêter attention aux éléments qui pourraient l'amener à la solution, l'auteur peut tenter d'attirer son intérêt sur des faits, des objets, ou des personnes qui semblent désigner un autre coupable, ou qui n'ont aucun intérêt pour l'enquête, c'est le détournement.
Pierre Bayard en arrive à conclure, qu'au final, la mécanique du roman policier vise à empêcher le lecteur de penser, de former des idées précises, en l'égarant. En le noyant sous des éléments nombreux et non pertinents, et en dissimulant d'une manière ou d'une autre les seuls qui sont vraiment essentiels. Une sorte de jeu entre l'auteur et le lecteur.
L'auteur dispose d'un puissant levier pour induire en erreur son lecteur : l'omission. Comme le docteur Sheppard, le narrateur du Meurtre de Roger Ackroyd, il n'est pas obligé de tout dire. Ce procédé reste toutefois délicat à manipuler : il faut que l'omission passe inaperçue, ou qu'elle ait une raison valable, sinon le lecteur risque de trouver que l'auteur triche. Dans le cas où c'est le narrateur qui s'avère être le meurtrier, elle devient justifiée : il est normal que l'assassin cache des choses.
Ce jeu de pistes nombreuses dont beaucoup sont fausses, d'omissions, d'éléments pertinents présentés de manière à ce qu'ils passent inaperçus, provoque chez le lecteur une tentative de donner du sens, même si l'auteur essai de l'empêcher de penser efficacement, autrement dit à interpréter les données fournies par l'auteur pour résoudre l'énigme. Au point de pouvoir aboutir à des interprétations délirantes. Psychanalyste, en plus d'être professeur de littérature, Pierre Bayard développe cet aspect des choses, et en arrive à accuser Poirot de finir par fournir ce type d'interprétations. La question est délicate et dépasse le cadre du roman policier. A un moment, on en vient à se poser la questions du caractère délirant des interprétations littéraires elles-mêmes (sans oublier l'interprétation délirante qui pourrait être consubstantielle à la psychanalyse). L'auteur tente de ramener la raison, et trouve un point d'appui chez Tzvetan Todorov, qui distingue deux sens au mot « vérité » : la vérité-adéquation, qui fonctionne en tout ou rien, et la vérité-dévoilement, qui fonctionne en plus ou moins. Une grande partie de textes littéraires, et de leurs interprétations relèveraient de la vérité-dévoilement. D'une certaine manière on pourrait dire que ce qui serait délirant, ce serait de considérer la majorité des contenus littéraires ainsi que leurs interprétations comme des vérités-adéquations.
Ce qui autorise, d'une certaine manière, l'auteur, à fournir sa propre résolution du meurtre de Roger Ackroyd, différente de celle d'Agatha Christie. Qui, à mon avis, est encore plus problématique que celle de la reine du crime, même si Pierre Bayard pointe quelques faiblesses indéniables dans la raisonnement de Poirot à la fin du roman. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment sur les procédés des romans policiers, ces faiblesses sont inévitables : enchevêtrements des pistes, les subterfuges pour ne pas permettre au lecteur de soupçonner le vrai coupable, finissent par produire des éléments qui ne colleront finalement pas complètement dans le tableau final. Même si à mon sens, Agatha Christie est peut-être l'écrivain qui réussit à produire les textes les plus cohérents et les plus solides. Les plus convaincants en tous les cas pour un « vrai » lecteur, qui cherche dans sa lecture, un distraction, un plaisir avant tout.
En réalité, ce qu'un lecteur de romans policier cherche, ce n'est pas à mettre en déroute et à démasquer un meurtrier. Car celui-ci n'existe que dans le cerveau et le texte rédigé par l'auteur. Non, je crois que le lecteur se mesure à ce dernier, et essaie de trouver avant le moment choisi par le romancier pour révéler « la vérité », à trouver la solution de l'énigme imaginée par l'écrivain. A démasquer sa logique, à écarter les pistes trompeuses, à repérer malgré toutes les astuces pour qu'on ne les voit pas, les éléments signifiants. A être plus malin, non pas que le meurtrier, mais que l'auteur-démiurge dont il est une créature. C'est pour cela que l'on pourrait considérer que la tentative de Pierre Bayard de donner une interprétation alternative du crime de Roger Ackroyd, est un essai de prendre la place de l'auteur, un acte symboliquement très fort.
Un livre qui ouvre des pistes intéressantes, et qui est souvent assez amusant en plus. A conseiller aux amateurs des romans policiers certainement, mais en réalité à tous les amateurs de la littérature.
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Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Pierre Bayard
trèèès intéressant... je note...
et j'ai vu qu'il a écrit d'autres livres du genre, entre autre un qui se consacre d'une autre oeuvre de Dame Agatha: La vérité sur "Ils étaient dix"
et j'ai vu qu'il a écrit d'autres livres du genre, entre autre un qui se consacre d'une autre oeuvre de Dame Agatha: La vérité sur "Ils étaient dix"
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Life is a lot like Jazz
Best when you improvise
George Gershwin
Re: Pierre Bayard
Je n'avais pas vu pour celui-ci, merci @kenavo . En revanche il y en a un qui s'appelle "Comment parler des livres qu'on a pas lus" qui me tente bien.
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Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Pierre Bayard
ah oui, je me rappelle qu'on en avait beaucoup parlé lors de la sortie... depuis ce temps il se trouve sur ma LALArabella a écrit:En revanche il y en a un qui s'appelle "Comment parler des livres qu'on a pas lus" qui me tente bien.
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George Gershwin
Re: Pierre Bayard
Peut-être l'occasion de le sortir ?
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Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Pierre Bayard
La vérité sur "Ils étaient dix"
Pierre Bayard a dédié ce livre à la mémoire de John Dickson Carr.Présentation de l’éditeur
Aucun lecteur sensé ne peut croire en la solution invraisemblable proposée à la fin du célèbre roman policier Ils étaient dix.
En donnant la parole au véritable assassin, ce livre explique ce qui s'est réellement passé et pourquoi Agatha Christie s'est trompée.
Il y a plusieurs adaptations de ce roman et à part une, elles sont toutes différentes du roman à la base : les « coupables » ne meurent pas tous. Il va y avoir deux qui vont s’échapper.
Je dois dire que je n’ai jamais lu le livre de la chère Dame Agatha… les adaptations m’ont toujours suffi. Mais je connaissais assez la base pour m’y retrouver dans la version de Pierre Bayard.
Tout d’abord merci à @Arabella d’avoir ouvert son fil, je ne sais pas si j’aurais franchi le pas autrement.
Mais cela fut un vrai plaisir de découvrir ce roman sous cet angle.
Il a le don de démolir le raisonnement du roman de Agatha Christie et présenter une solution si convaincante, on se pose la question comment la reine du crime n’en avait pas pensé
Très bon moment de lecture.
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George Gershwin
Re: Pierre Bayard
Contente que cela t'ai plu. Je pense relire cet auteur, et je note ce livre.
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Arabella- Messages : 4815
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: Pierre Bayard
Comment parler des livres que l'on a pas lus ?
Le titre peut sembler provoquant, et encore plus venant d'un professeur de littérature. A voir certaines réactions indignées, Pierre Bayard a indéniablement réussi à faire réagir. Mais je crois qu'il faut lire son livre au second degré, l'auteur revendique l'humour, l'ironie, et pense avoir crée un genre qu'il est le seul à pratiquer : la fiction théorique. Dans ce cadre qu'il pose, le narrateur du livre n'est pas l'auteur. Il faut toujours avoir cette distinction en tête en lisant l'ouvrage.
Une deuxième donnée essentielle se trouve pour moi dans le titre du livre. Il ne s'agit pas d'évoquer l'acte de lire, une lecture intime, le plaisir que cela nous procure. Mais de « parler » c'est à dire de communiquer, d'échanger, bref d'être dans une interaction sociale à partir du support que sont les livres. Donc exister dans le regard de l'autre, se positionner, se définir par rapport aux autres à travers un discours sur les livres. Et le livre est un objet qui a une charge forte dans notre société, qui est valorisé, qui confère un statut. Parler des livres peut être perçu, surtout dans certains milieux professionnels, comme une sorte d'épreuve, qui va légitimer ou pas le locuteur, lui conférer une position, plus ou moins haute dans une hiérarchie. Lui donner une valeur. C'est cette attitude, qui fausse d'une certaine manière le rapport spontané aux livres et à la lecture, que Pierre Bayard interroge, et met en scène, d'une manière parfois très amusante, et en s'appuyant sur des livres, célèbres ou moins, qu'il connaît très bien, soit dit en passant, même si parfois il les détourne quelque peu.
Le narrateur rappelle d'emblée qu'il n'est pas possible de tout lire, que tout lecteur aussi passionné soit-il, ne pourra au cours de sa vie, lire qu'une très faible minorité de livres qui existent, il est donc pour la majorité des livres, un non-lecteur. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir une idée sur les autres. En partant de l'exemple du bibliothécaire du roman de Musil, L'homme sans qualités, le narrateur nous explique comment le non-lecteur que nous sommes, s'oriente à travers une «bibliothèque collective » qui est l'ensemble de tous les livres déterminants sur lesquels repose une certaine culture à un moment donné. C'est la maîtrise de cette bibliothèque collective, la capacité à situer un livre, même si on ne l'a pas lu, à une position précise dans cette bibliothèque, qui nous permet d'échanger autour de ce livre. le narrateur semble dire le contraire (d'une manière ironique à mon sens), mais plus on a lu de livres et plus on a sans aucun doute la capacité à maîtriser cette bibliothèque. le cas du bibliothécaire de Musil qui ne lit que les catalogues et les index, et jamais les livres, est évidemment un paradoxe amusant, il n'est en aucun cas un modèle, ni chez Musil ni chez Bayard, c'est juste une illustration de l'importance des correspondances, des liens entre les livres. Ces derniers ne prennent effectivement souvent leur sens que les uns par rapport aux autres.
Autrement dit, la culture dont on dispose permet à situer les livres dans la bibliothèque collective, et elle permet aussi de se situer à l'intérieur de chaque livre. D'une manière paradoxale, en s'appuyant sur des autorités comme Valéry, le narrateur nous soutient qu'il est possible de ne faire que parcourir un livre, pour comprendre suffisamment de quoi il parle, mais on peut aussi penser que cela permet également de mettre un sens sur ce que l'on lit.
Le narrateur s'interroge ensuite, en s'appuyant sur le Nom de la Rose d'Umberto Eco sur le l'adéquation entre le livre « réel » et la représentation qu'en a le lecteur après la lecture, qu'il appelle le « livre-écran », considérant que ce que le lecteur interprète le livre, en fonction de ses présupposés, attentes, illusions, limitations, projections. Il y a une distorsion, un écart entre le livre réel et le livre écran. Sans oublier le phénomène d'oubli, qui transforme le souvenir de la lecture, n'en retient que certains éléments, voir qui efface presque tout, au point que l'on peut parfois se demander si on a bien lu tel ou tel livre. le narrateur propose un deuxième livre, qu'il appelle « le livre-intérieur » qui est constitué de l'ensemble de représentations mythiques, collectives ou individuelles, qui s'interposent entre le lecteur et tout nouveau écrit. Il influence toutes les transformations que nous faisons subir aux livres pour les transformer en livres-écrans. On lit en fonction de ce livre intérieur, on donne sens à partir de lui. Et enfin, le narrateur évoque le livre fantôme, qui surgit lorsque nous évoquons un livre, par oral ou par écrit. Nos échanges autour des livre ici ou ailleurs appartiennent à cette catégorie. Il est le point de rencontre des différents livres-écrans construits à partir de livres intérieurs.
A ces différents types de livres, correspondant différentes sortes de bibliothèques. le livre-écran appartient à la bibliothèque collective. le livre-intérieur appartient à une bibliothèque intérieure, qui est une bibliothèque propre à chaque individu, qui la construit à partir de ses expériences, et qui contient les livres marquants pour chaque personne. Enfin, la bibliothèque virtuelle, qui correspond au livre-fantôme, est un espace de communication dans lequel les échanges entre lecteurs ou non lecteurs peuvent se faire. Nous sommes donc ici dans une bibliothèque virtuelle.
Le narrateur insiste sur cet espace, et sur le livre-fantôme. de ce qui découle précédemment, parfois par le biais de paradoxes, il fait ressortir à quel point la lecture et la représentation de livres qui en découle est subjective, liée à un contexte, culturel, historique etc. Et que par conséquent, il ne faut pas avoir honte de la sienne, que le rapport aux livres doit être décomplexé, et surtout créatif. On peut créer, inventer à partir des oeuvres des autres (ce que l'auteur illustre brillamment ici). L'auteur (encore plus que le narrateur je pense) introduit l'idée de plaisir, procuré par une démarche active du lecteur, qui assume sa position du cocréateur, puisque tout ce que l'on va dire sur un livre est un reflet de ce que nous sommes.
Au contraire d'un encouragement à la non-lecture, j'ai trouvé que le livre de Pierre Bayard parle du plaisir de s'approprier les livres, d'en faire d'une manière assumée des objets que l'on manipule, sans fétichisme mais avec inventivité. Et que pour ce faire, il est drôle et très agréable à lire, bien plus que mon résumé, dans lequel j'ai essayé de fixer les idées qui m'ont parues essentielles, en essayant de les dégager des brillantes (et parfois un peu détournées) analyses d'oeuvres, des paradoxes qui jouent à provoquer les amoureux de livres, de tout ce plaisant enrobage qui fait de la lecture de ce livre un excellent moment.
Le titre peut sembler provoquant, et encore plus venant d'un professeur de littérature. A voir certaines réactions indignées, Pierre Bayard a indéniablement réussi à faire réagir. Mais je crois qu'il faut lire son livre au second degré, l'auteur revendique l'humour, l'ironie, et pense avoir crée un genre qu'il est le seul à pratiquer : la fiction théorique. Dans ce cadre qu'il pose, le narrateur du livre n'est pas l'auteur. Il faut toujours avoir cette distinction en tête en lisant l'ouvrage.
Une deuxième donnée essentielle se trouve pour moi dans le titre du livre. Il ne s'agit pas d'évoquer l'acte de lire, une lecture intime, le plaisir que cela nous procure. Mais de « parler » c'est à dire de communiquer, d'échanger, bref d'être dans une interaction sociale à partir du support que sont les livres. Donc exister dans le regard de l'autre, se positionner, se définir par rapport aux autres à travers un discours sur les livres. Et le livre est un objet qui a une charge forte dans notre société, qui est valorisé, qui confère un statut. Parler des livres peut être perçu, surtout dans certains milieux professionnels, comme une sorte d'épreuve, qui va légitimer ou pas le locuteur, lui conférer une position, plus ou moins haute dans une hiérarchie. Lui donner une valeur. C'est cette attitude, qui fausse d'une certaine manière le rapport spontané aux livres et à la lecture, que Pierre Bayard interroge, et met en scène, d'une manière parfois très amusante, et en s'appuyant sur des livres, célèbres ou moins, qu'il connaît très bien, soit dit en passant, même si parfois il les détourne quelque peu.
Le narrateur rappelle d'emblée qu'il n'est pas possible de tout lire, que tout lecteur aussi passionné soit-il, ne pourra au cours de sa vie, lire qu'une très faible minorité de livres qui existent, il est donc pour la majorité des livres, un non-lecteur. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir une idée sur les autres. En partant de l'exemple du bibliothécaire du roman de Musil, L'homme sans qualités, le narrateur nous explique comment le non-lecteur que nous sommes, s'oriente à travers une «bibliothèque collective » qui est l'ensemble de tous les livres déterminants sur lesquels repose une certaine culture à un moment donné. C'est la maîtrise de cette bibliothèque collective, la capacité à situer un livre, même si on ne l'a pas lu, à une position précise dans cette bibliothèque, qui nous permet d'échanger autour de ce livre. le narrateur semble dire le contraire (d'une manière ironique à mon sens), mais plus on a lu de livres et plus on a sans aucun doute la capacité à maîtriser cette bibliothèque. le cas du bibliothécaire de Musil qui ne lit que les catalogues et les index, et jamais les livres, est évidemment un paradoxe amusant, il n'est en aucun cas un modèle, ni chez Musil ni chez Bayard, c'est juste une illustration de l'importance des correspondances, des liens entre les livres. Ces derniers ne prennent effectivement souvent leur sens que les uns par rapport aux autres.
Autrement dit, la culture dont on dispose permet à situer les livres dans la bibliothèque collective, et elle permet aussi de se situer à l'intérieur de chaque livre. D'une manière paradoxale, en s'appuyant sur des autorités comme Valéry, le narrateur nous soutient qu'il est possible de ne faire que parcourir un livre, pour comprendre suffisamment de quoi il parle, mais on peut aussi penser que cela permet également de mettre un sens sur ce que l'on lit.
Le narrateur s'interroge ensuite, en s'appuyant sur le Nom de la Rose d'Umberto Eco sur le l'adéquation entre le livre « réel » et la représentation qu'en a le lecteur après la lecture, qu'il appelle le « livre-écran », considérant que ce que le lecteur interprète le livre, en fonction de ses présupposés, attentes, illusions, limitations, projections. Il y a une distorsion, un écart entre le livre réel et le livre écran. Sans oublier le phénomène d'oubli, qui transforme le souvenir de la lecture, n'en retient que certains éléments, voir qui efface presque tout, au point que l'on peut parfois se demander si on a bien lu tel ou tel livre. le narrateur propose un deuxième livre, qu'il appelle « le livre-intérieur » qui est constitué de l'ensemble de représentations mythiques, collectives ou individuelles, qui s'interposent entre le lecteur et tout nouveau écrit. Il influence toutes les transformations que nous faisons subir aux livres pour les transformer en livres-écrans. On lit en fonction de ce livre intérieur, on donne sens à partir de lui. Et enfin, le narrateur évoque le livre fantôme, qui surgit lorsque nous évoquons un livre, par oral ou par écrit. Nos échanges autour des livre ici ou ailleurs appartiennent à cette catégorie. Il est le point de rencontre des différents livres-écrans construits à partir de livres intérieurs.
A ces différents types de livres, correspondant différentes sortes de bibliothèques. le livre-écran appartient à la bibliothèque collective. le livre-intérieur appartient à une bibliothèque intérieure, qui est une bibliothèque propre à chaque individu, qui la construit à partir de ses expériences, et qui contient les livres marquants pour chaque personne. Enfin, la bibliothèque virtuelle, qui correspond au livre-fantôme, est un espace de communication dans lequel les échanges entre lecteurs ou non lecteurs peuvent se faire. Nous sommes donc ici dans une bibliothèque virtuelle.
Le narrateur insiste sur cet espace, et sur le livre-fantôme. de ce qui découle précédemment, parfois par le biais de paradoxes, il fait ressortir à quel point la lecture et la représentation de livres qui en découle est subjective, liée à un contexte, culturel, historique etc. Et que par conséquent, il ne faut pas avoir honte de la sienne, que le rapport aux livres doit être décomplexé, et surtout créatif. On peut créer, inventer à partir des oeuvres des autres (ce que l'auteur illustre brillamment ici). L'auteur (encore plus que le narrateur je pense) introduit l'idée de plaisir, procuré par une démarche active du lecteur, qui assume sa position du cocréateur, puisque tout ce que l'on va dire sur un livre est un reflet de ce que nous sommes.
Au contraire d'un encouragement à la non-lecture, j'ai trouvé que le livre de Pierre Bayard parle du plaisir de s'approprier les livres, d'en faire d'une manière assumée des objets que l'on manipule, sans fétichisme mais avec inventivité. Et que pour ce faire, il est drôle et très agréable à lire, bien plus que mon résumé, dans lequel j'ai essayé de fixer les idées qui m'ont parues essentielles, en essayant de les dégager des brillantes (et parfois un peu détournées) analyses d'oeuvres, des paradoxes qui jouent à provoquer les amoureux de livres, de tout ce plaisant enrobage qui fait de la lecture de ce livre un excellent moment.
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