László Krasznahorkai
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Re: László Krasznahorkai
Merci pour vos encouragements ! Je verrai ça plus tard, j'ai une petite PAL !
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Nightingale- Messages : 2830
Date d'inscription : 09/12/2017
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Re: László Krasznahorkai
Ro, petit joueur!!!Nightingale a écrit:Merci pour vos encouragements ! Je verrai ça plus tard, j'ai une petite PAL !
C'est quand on a une grosse PAL qu'on reporte...Toi tu as encore de la marge, c'est sûr
Aeriale- Messages : 11965
Date d'inscription : 30/11/2016
Re: László Krasznahorkai
Le dernier loup
Un nouveau livre de Laszlo Krasznahorkai est toujours un événement pour moi, même si comme ici, il ne s'agit que d'une longue nouvelle d'une soixantaine de pages.
Une soixantaine de pages dans lesquelles se déploie une seule phrase, dans des volutes, des digressions, un rythme ample, un souffle puissant. le narrateur, un professeur de philosophie déclassé, qui végète et survit de petits travaux alimentaires, raconte à un barman hongrois, dans un bar minable, dans un quartier en déliquescence, un voyage en Espagne, en Estrémadure. Vrai voyage ? Voyage fantasmé ? En partie vrai ? En partie inventé ? Mais où mettre la frontière entre le réel et l'imaginaire, et lequel est le plus tangible ?
Invité par un organisme pour écrire quelque chose au sujet d'une région en pleine mutation, sans doute pour en donner une image positive, l'ex-professeur, l'ex-philosophe, qui n'écrit plus, n'enseigne plus, ne fait rien d'autres que traîner, ne comprend pas la raison de cette invitation qui lui est faite. Elle lui semble très mystérieuse, due à une erreur, comme une sorte d'ironie du destin. Il se décide quand même à faire le voyage, même s'il sait qu'il sera incapable d'écrire quoi que ce soit, les mots et les idées l'ayant en quelque sorte quittés définitivement. Il visite un peu au hasard, sur des impulsions des lieux, amené par un chauffeur, accompagné par une traductrice. Un article l'amène à enquêter sur la mort du dernier loup dans cette région : l'histoire va se révéler plus complexe qu'il ne semblait, avoir des ramifications, des épisodes, une charge émotionnelle, et des interrogations qui vont bien plus loin que le destin de l'animal.
Laszlo Krasznahorkai est un magicien, du verbe et du récit, qui tient son lecteur en haleine, et le laisse au final avec plus de questions que de réponses. Ce qui permet de continuer longtemps, une fois la dernière page lue, à imaginer et à voyager à l'intérieur du livre.
Un nouveau livre de Laszlo Krasznahorkai est toujours un événement pour moi, même si comme ici, il ne s'agit que d'une longue nouvelle d'une soixantaine de pages.
Une soixantaine de pages dans lesquelles se déploie une seule phrase, dans des volutes, des digressions, un rythme ample, un souffle puissant. le narrateur, un professeur de philosophie déclassé, qui végète et survit de petits travaux alimentaires, raconte à un barman hongrois, dans un bar minable, dans un quartier en déliquescence, un voyage en Espagne, en Estrémadure. Vrai voyage ? Voyage fantasmé ? En partie vrai ? En partie inventé ? Mais où mettre la frontière entre le réel et l'imaginaire, et lequel est le plus tangible ?
Invité par un organisme pour écrire quelque chose au sujet d'une région en pleine mutation, sans doute pour en donner une image positive, l'ex-professeur, l'ex-philosophe, qui n'écrit plus, n'enseigne plus, ne fait rien d'autres que traîner, ne comprend pas la raison de cette invitation qui lui est faite. Elle lui semble très mystérieuse, due à une erreur, comme une sorte d'ironie du destin. Il se décide quand même à faire le voyage, même s'il sait qu'il sera incapable d'écrire quoi que ce soit, les mots et les idées l'ayant en quelque sorte quittés définitivement. Il visite un peu au hasard, sur des impulsions des lieux, amené par un chauffeur, accompagné par une traductrice. Un article l'amène à enquêter sur la mort du dernier loup dans cette région : l'histoire va se révéler plus complexe qu'il ne semblait, avoir des ramifications, des épisodes, une charge émotionnelle, et des interrogations qui vont bien plus loin que le destin de l'animal.
Laszlo Krasznahorkai est un magicien, du verbe et du récit, qui tient son lecteur en haleine, et le laisse au final avec plus de questions que de réponses. Ce qui permet de continuer longtemps, une fois la dernière page lue, à imaginer et à voyager à l'intérieur du livre.
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Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. (Oscar Wilde)
Arabella- Messages : 4827
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: László Krasznahorkai
Arabella a écrit:Laszlo Krasznahorkai est un magicien, du verbe et du récit, qui tient son lecteur en haleine, et le laisse au final avec plus de questions que de réponses. Ce qui permet de continuer longtemps, une fois la dernière page lue, à imaginer et à voyager à l'intérieur du livre
C'est clair, pour les questions en suspens! Mais c'est aussi ce qui nous capte longtemps après, comme tu le précises.
J'avais repéré cette sortie, je vais le commander si je ne le trouve pas en librairie. Merci pour tes impressions, Arabella!
Aeriale- Messages : 11965
Date d'inscription : 30/11/2016
Re: László Krasznahorkai
Une "petite" phrase de Krasznahorkai de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal !
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"Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux" Jules Renard
Liseron- Messages : 4314
Date d'inscription : 02/01/2017
Localisation : Toulouse
Re: László Krasznahorkai
Arabella a écrit:
Une soixantaine de pages dans lesquelles se déploie une seule phrase........
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Nightingale- Messages : 2830
Date d'inscription : 09/12/2017
Age : 56
Localisation : Sur le bord de la marge
Re: László Krasznahorkai
Ce n'est sans doute pas celui par lequel il faut commencer...
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Arabella- Messages : 4827
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: László Krasznahorkai
Thésée universel
Difficile de nommer ce livre, tant sa forme est originale et déroutante. Un narrateur, le seul à s'exprimer dans le livre, prononce trois conférences, devant un mystérieux et indéfini auditoire. le narrateur lui-même, bien que parlant abondamment de lui, reste mystérieux : même s'il nous raconte des épisodes très précis de son existence, qu'il donne ses opinions et ses analyses, nous savons finalement peu de lui. Il rappelle un peu le personnage du Dernier loup, philosophe déchu, se voyant proposer un voyage dans un but vague : ici aussi le conférencier d'occasion, ne comprend pas bien pourquoi il a été invité et qu'est-ce qu'on attend précisément de lui. Il le dit de suite : il n'est pas conférencier. Il se prête toutefois au jeu, sans que la raison de son acceptation, tout au moins pour la première conférence ne soit claire. Il est au final personne et tout le monde à la fois.
Conférences étranges par leurs thèmes : la tristesse, la révolte, la possession, et surtout étrange façon d'évoquer ces thèmes. Discursive, pleine de parenthèses, évoquant soit le personnage qui parle, soit le monde. Dès la deuxième conférence, et surtout dans la troisième, le personnage fait comprendre qu'il parle sous la contrainte, une contrainte sans visage, d'autant plus inquiétante qu'incompréhensible. Les conférences lient d'une façon brillante des questionnements métaphysiques, avec un vécu personnel, et une situation dans un monde imprécis, mais qui semble effrayant. Rien n'est vraiment clair, mais tout suscite la réflexion, le questionnement, peut-être parce que rien n'est univoque. Il y a aussi des références, la plus importante se rapporte à un autre livre de l'auteur, La mélancolie de la résistance, dans lequel les trois thèmes de notre conférencier trouvent une illustration complexe et forte.
L‘ensemble n'est pas dépourvu d'un certain humour, qui allège quelque peu la tristesse et l'effroi que pourrait provoquer le monde suggéré et l'image quelque peu désespérée de la condition humaine. Tout cela est à la fois étourdissant, et d'une grande richesse, à explorer à petites doses et à reprendre régulièrement, en espérant trouver un fil solide pour découvrir un chemin sûr dans le labyrinthe.
Difficile de nommer ce livre, tant sa forme est originale et déroutante. Un narrateur, le seul à s'exprimer dans le livre, prononce trois conférences, devant un mystérieux et indéfini auditoire. le narrateur lui-même, bien que parlant abondamment de lui, reste mystérieux : même s'il nous raconte des épisodes très précis de son existence, qu'il donne ses opinions et ses analyses, nous savons finalement peu de lui. Il rappelle un peu le personnage du Dernier loup, philosophe déchu, se voyant proposer un voyage dans un but vague : ici aussi le conférencier d'occasion, ne comprend pas bien pourquoi il a été invité et qu'est-ce qu'on attend précisément de lui. Il le dit de suite : il n'est pas conférencier. Il se prête toutefois au jeu, sans que la raison de son acceptation, tout au moins pour la première conférence ne soit claire. Il est au final personne et tout le monde à la fois.
Conférences étranges par leurs thèmes : la tristesse, la révolte, la possession, et surtout étrange façon d'évoquer ces thèmes. Discursive, pleine de parenthèses, évoquant soit le personnage qui parle, soit le monde. Dès la deuxième conférence, et surtout dans la troisième, le personnage fait comprendre qu'il parle sous la contrainte, une contrainte sans visage, d'autant plus inquiétante qu'incompréhensible. Les conférences lient d'une façon brillante des questionnements métaphysiques, avec un vécu personnel, et une situation dans un monde imprécis, mais qui semble effrayant. Rien n'est vraiment clair, mais tout suscite la réflexion, le questionnement, peut-être parce que rien n'est univoque. Il y a aussi des références, la plus importante se rapporte à un autre livre de l'auteur, La mélancolie de la résistance, dans lequel les trois thèmes de notre conférencier trouvent une illustration complexe et forte.
L‘ensemble n'est pas dépourvu d'un certain humour, qui allège quelque peu la tristesse et l'effroi que pourrait provoquer le monde suggéré et l'image quelque peu désespérée de la condition humaine. Tout cela est à la fois étourdissant, et d'une grande richesse, à explorer à petites doses et à reprendre régulièrement, en espérant trouver un fil solide pour découvrir un chemin sûr dans le labyrinthe.
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Arabella- Messages : 4827
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: László Krasznahorkai
Eh bien, une lecture encore bien mystérieuse et complexe et qui demande beaucoup de la part du lecteur, j’ai l’impression.
J’avais été fascinée par ce raisonnement labyrinthique dans mon premier de lui, Sous le coup de la grâce mais c'était des nouvelles. Dans un roman, il est plus difficile de trouver le recul, et le souffle nécessaire.
Pas sûre que ce soit pour moi :-( Merci de ton topo Arabella.
J’avais été fascinée par ce raisonnement labyrinthique dans mon premier de lui, Sous le coup de la grâce mais c'était des nouvelles. Dans un roman, il est plus difficile de trouver le recul, et le souffle nécessaire.
Pas sûre que ce soit pour moi :-( Merci de ton topo Arabella.
Aeriale- Messages : 11965
Date d'inscription : 30/11/2016
Re: László Krasznahorkai
Là cela fait 90 pages, pas vraiment un roman, et c'est très drôle. Je pense que cela pourrait être pour toi, justement.
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Arabella- Messages : 4827
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: László Krasznahorkai
Ah oui?
En effet, très court, il n'y a pas beaucoup de risques. Et si tu le dis, je pense que je passerai la commande.
A suivre!
En effet, très court, il n'y a pas beaucoup de risques. Et si tu le dis, je pense que je passerai la commande.
A suivre!
Aeriale- Messages : 11965
Date d'inscription : 30/11/2016
Re: László Krasznahorkai
Le baron Wenckheim est de retour
Qu’est-ce qui peut nous faire penser qu’on a lu un véritable chef-d’oeuvre, un livre qui au-delà des modes, des sujets sensibles du moment, d’un plaisir de lecture, touche à quelque chose d’essentiel, qui n’est d’une époque ni d’un lieu, un livre aux sens multiples, dont on ne vas épuiser le contenu ni dans une lecture ni dans dix, qui remue, interroge, qui ne quitte pas le lecteur une fois terminé ? L’erreur est toujours possible, évidemment, mais il y a quelques livres, rares, forcément, qui vous laissent cette sensation inexplicable d’être en face de quelque chose qui nous dépasse, et en même temps nous donne la possibilité d’aller au-delà de nos limites. Le baron Wenckheim est de ces livres-là pour moi.
Le résumer risque de n’être pas incitatif. Aller faire un voyage dans une petite ville du fin fond de la Hongrie post-communiste n’a rien de très alléchant. Une petite ville sinistre et sinistrée, avec ses industries à l’abandon, ses services publiques défaillants, ses gares aux arrivées de train incertaines. Des hordes de sans abris, d’étrangers qui campent, un orphelinats aux allures de masure, et des habitants à la mentalité petit-bourgeois, bien pensante et uniquement occupés de leur petit confort quotidien, de plus en plus difficile à assurer, mais quand même on s’arrange comme on peut. Sans oublier la bande de motards violents, exécuteurs de basses œuvres pour la police locale, terrorisant la population qui préfère ne pas voir, et se préparant à prendre encore plus le contrôle. Ce n’est certes pas un tableau très réjouissant. Un espoir tout de même se lève dans ce monde à la dérive, le retour du descendant des anciens maîtres du lieu, le baron Wenckheim. Emigré dans ses jeunes années avec ses parents en Argentine pour fuir le communisme, il revient. Pour les habitants, le maire en tête, il ne peut s’agir que du sauveur providentiel, dont l’argent va redonner vie à l’endroit. Or d’argent il n’y en a pas. Le baron est une sorte de naïf perdu dans le monde, et qui a du être arraché de prison pour dettes, faites au jeu, par des riches parents autrichiens. Qui sont bien contents de s’en débarrasser en le laissant repartir là d’où il vient. Dans l’esprit brumeux du baron, son retour lui permettra de renouer avec son amour de jeunesse, qu’il n’a jamais oublié, qui l’a aidé à vivre, et qu’il pense être resté tel quel, pendant les décennies qu’a duré son absence. Comme il pense que rien n’a changé dans la ville qu’il a quitté adolescent. La déception sera forcément à la hauteur des attentes des uns et des autres.
Mais ce n’est qu’une trame parmi d’autres. László Krasznohorkai dessine une galerie de personnages, tous plus vrais que nature, qui même s’il n’occupent qu’une demi page sont parfaitement caractérisés. Il dresse l’air de rien, presque par inadvertance, le tableau assez complet et complexe de la population locale, dans toutes les couches de la société, âges, situations. Ce n’est pas forcément l’aspect sociologique qui l’intéresse, chaque situation peut ouvrir des perspectives bien plus vertigineuses qu’il semble à première vue : ainsi la confection d’une tarte est susceptible de nous amener à la notion d’intuition, au sens philosophique du terme. Il faut juste décoder. Ou pas d’ailleurs, on peut aussi rester dans l’anecdote amusante, si l’on préfère.
La vision de László Krasznohorkai n’a rien d’optimiste. Il dépeint des hommes empêtrés dans leurs contradictions, à la vue courte, incapables de se dégager du contingent. De comprendre le monde dans lequel ils vivent et de se comprendre. Englué dans des destins qui les dépassent, mais dans des petits destins minables, sans rien de grandiose ni noble. Pas de liberté possible, une sorte de prédestination régie le monde. Mais une prédestination sans Dieu (l’éblouissant Avertissement nous fixe le cadre), ce qui est bien pire, parce que pas de rédemption possible. Le monde que dépeint László Krasznohorkai est un monde en bout de course, sans issue. Et qu’on ne se fasse pas d’illusions : la petite ville hongrois n’est pas sans similitude avec le monde dans lequel nous vivons, il l’anticipe peut-être un peu.
Mais que l’éventuel lecteur n’ait pas peur à ce sombre tableau : le livre est véritablement drôle, très drôle par moments. Cela peut paraître impossible, et pourtant l’auteur réussit ce tour de force. C’est le premier livre de László Krasznohorkai que je lis qui m’ait fait vraiment rire. De même son écriture, qui n’est en général pas la plus simple, avec de très longues phrases, est plus abordable ici. Le passage d’un narrateur, d’un personnage à un autre, ne perd jamais le lecteur. Et le fait de passer d’une histoire, d’une anecdote à une autre, relance l’intérêt, fait que ce très long livre de plus de 500 pages glisse tout seul, est un bonheur de lecture.
L’auteur a déclaré que ce livre résumait tout ce qu’il avait écrit jusque là. Et c’est vrai, ses lecteurs peuvent reconnaître des éléments, des thématiques, voire des clins d’oeil à ses livres antérieurs. Dans une forme peut être plus aboutie, plus éblouissante encore. Mais plutôt que de le voir comme une indépassable réussite, je préfère le considérer comme une étape essentielle, qui va ouvre la voie à d’autres réussites, différentes. Et bien évidemment j’attends avec impatience l’opus suivant.
Qu’est-ce qui peut nous faire penser qu’on a lu un véritable chef-d’oeuvre, un livre qui au-delà des modes, des sujets sensibles du moment, d’un plaisir de lecture, touche à quelque chose d’essentiel, qui n’est d’une époque ni d’un lieu, un livre aux sens multiples, dont on ne vas épuiser le contenu ni dans une lecture ni dans dix, qui remue, interroge, qui ne quitte pas le lecteur une fois terminé ? L’erreur est toujours possible, évidemment, mais il y a quelques livres, rares, forcément, qui vous laissent cette sensation inexplicable d’être en face de quelque chose qui nous dépasse, et en même temps nous donne la possibilité d’aller au-delà de nos limites. Le baron Wenckheim est de ces livres-là pour moi.
Le résumer risque de n’être pas incitatif. Aller faire un voyage dans une petite ville du fin fond de la Hongrie post-communiste n’a rien de très alléchant. Une petite ville sinistre et sinistrée, avec ses industries à l’abandon, ses services publiques défaillants, ses gares aux arrivées de train incertaines. Des hordes de sans abris, d’étrangers qui campent, un orphelinats aux allures de masure, et des habitants à la mentalité petit-bourgeois, bien pensante et uniquement occupés de leur petit confort quotidien, de plus en plus difficile à assurer, mais quand même on s’arrange comme on peut. Sans oublier la bande de motards violents, exécuteurs de basses œuvres pour la police locale, terrorisant la population qui préfère ne pas voir, et se préparant à prendre encore plus le contrôle. Ce n’est certes pas un tableau très réjouissant. Un espoir tout de même se lève dans ce monde à la dérive, le retour du descendant des anciens maîtres du lieu, le baron Wenckheim. Emigré dans ses jeunes années avec ses parents en Argentine pour fuir le communisme, il revient. Pour les habitants, le maire en tête, il ne peut s’agir que du sauveur providentiel, dont l’argent va redonner vie à l’endroit. Or d’argent il n’y en a pas. Le baron est une sorte de naïf perdu dans le monde, et qui a du être arraché de prison pour dettes, faites au jeu, par des riches parents autrichiens. Qui sont bien contents de s’en débarrasser en le laissant repartir là d’où il vient. Dans l’esprit brumeux du baron, son retour lui permettra de renouer avec son amour de jeunesse, qu’il n’a jamais oublié, qui l’a aidé à vivre, et qu’il pense être resté tel quel, pendant les décennies qu’a duré son absence. Comme il pense que rien n’a changé dans la ville qu’il a quitté adolescent. La déception sera forcément à la hauteur des attentes des uns et des autres.
Mais ce n’est qu’une trame parmi d’autres. László Krasznohorkai dessine une galerie de personnages, tous plus vrais que nature, qui même s’il n’occupent qu’une demi page sont parfaitement caractérisés. Il dresse l’air de rien, presque par inadvertance, le tableau assez complet et complexe de la population locale, dans toutes les couches de la société, âges, situations. Ce n’est pas forcément l’aspect sociologique qui l’intéresse, chaque situation peut ouvrir des perspectives bien plus vertigineuses qu’il semble à première vue : ainsi la confection d’une tarte est susceptible de nous amener à la notion d’intuition, au sens philosophique du terme. Il faut juste décoder. Ou pas d’ailleurs, on peut aussi rester dans l’anecdote amusante, si l’on préfère.
La vision de László Krasznohorkai n’a rien d’optimiste. Il dépeint des hommes empêtrés dans leurs contradictions, à la vue courte, incapables de se dégager du contingent. De comprendre le monde dans lequel ils vivent et de se comprendre. Englué dans des destins qui les dépassent, mais dans des petits destins minables, sans rien de grandiose ni noble. Pas de liberté possible, une sorte de prédestination régie le monde. Mais une prédestination sans Dieu (l’éblouissant Avertissement nous fixe le cadre), ce qui est bien pire, parce que pas de rédemption possible. Le monde que dépeint László Krasznohorkai est un monde en bout de course, sans issue. Et qu’on ne se fasse pas d’illusions : la petite ville hongrois n’est pas sans similitude avec le monde dans lequel nous vivons, il l’anticipe peut-être un peu.
Mais que l’éventuel lecteur n’ait pas peur à ce sombre tableau : le livre est véritablement drôle, très drôle par moments. Cela peut paraître impossible, et pourtant l’auteur réussit ce tour de force. C’est le premier livre de László Krasznohorkai que je lis qui m’ait fait vraiment rire. De même son écriture, qui n’est en général pas la plus simple, avec de très longues phrases, est plus abordable ici. Le passage d’un narrateur, d’un personnage à un autre, ne perd jamais le lecteur. Et le fait de passer d’une histoire, d’une anecdote à une autre, relance l’intérêt, fait que ce très long livre de plus de 500 pages glisse tout seul, est un bonheur de lecture.
L’auteur a déclaré que ce livre résumait tout ce qu’il avait écrit jusque là. Et c’est vrai, ses lecteurs peuvent reconnaître des éléments, des thématiques, voire des clins d’oeil à ses livres antérieurs. Dans une forme peut être plus aboutie, plus éblouissante encore. Mais plutôt que de le voir comme une indépassable réussite, je préfère le considérer comme une étape essentielle, qui va ouvre la voie à d’autres réussites, différentes. Et bien évidemment j’attends avec impatience l’opus suivant.
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Arabella- Messages : 4827
Date d'inscription : 29/11/2016
Re: László Krasznahorkai
Peut-être que c'est ce qu'il me faut pour me sortir de ma léthargie de lectrice : un petit pavé cérébral.
En tout cas, c'est tentant.
En tout cas, c'est tentant.
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Et, du monde indistinct des rêves, là où se terrent les secrets mystiques, une réponse surgit.
Queenie- Messages : 7162
Date d'inscription : 29/11/2016
Localisation : Stable.
Re: László Krasznahorkai
Etonnant et tentant, je note. Et grand merci pour ce commentaire !
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Nightingale- Messages : 2830
Date d'inscription : 09/12/2017
Age : 56
Localisation : Sur le bord de la marge
Re: László Krasznahorkai
C'est un tel choc, ce livre. Pourtant je connais l'auteur, j'adore ce qu'il fait, mais là il va encore plus loin. Et paradoxalement en étant plus immédiatement gratifiant que dans la plupart de ses livres précédents, plus accessible, tout en étant encore plus riche.
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Arabella- Messages : 4827
Date d'inscription : 29/11/2016
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